Lobbying : enjeux et perspectives - Actu-Juridique


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Droit administratif Partager cet article Imprimer Partager par email Partager sur facebook Partager sur twitter Partager sur Linkedin Lobbying : enjeux et perspectives Publié le 17/01/2023


Olivier Buisine consultant, REGULATE, ancien président de l’IFPPC (Institut français des praticiens des procédures collectives) yurolaitsalbert/AdobeStock Au carrefour du droit et de la


communication, le lobbying est de plus en plus encadré par des textes. L’objectif du législateur est de proscrire les éventuels conflits d’intérêts et de rendre plus transparentes les


pratiques.


Méconnu et parfois décrié, le lobbying connaît depuis quelques années un essor, compte tenu de l’extrême technicité des textes législatifs. Le développement de la représentation d’intérêts


s’accompagne d’un encadrement des pratiques.


Origine Le mot anglais lobby signifie au sens littéral « antichambre », « vestibule » ou « couloir ». Institutionnalisée de longue date dans les pays anglo-saxons, la représentation


d’intérêts (ou lobbying) a plutôt mauvaise presse en France. Pratique pluriséculaire aux États-Unis et au Royaume-Uni, le lobbying connaît en France un essor depuis les années 1980, compte


tenu notamment de l’extrême technicité des textes législatifs. Initialement focalisé sur l’Assemblée nationale, le Sénat et les cabinets ministériels, le lobbying tend à se développer dans


les territoires. La représentation d’intérêts est également largement pratiquée auprès des institutions européennes.


Qualification de représentant d’intérêts Un lobby est un groupe de personnes créé pour promouvoir et défendre des intérêts, en exerçant notamment une influence sur la rédaction des textes


législatifs. Le lobbying a notamment pour objet d’éclairer les pouvoirs publics. Les représentants des pouvoirs publics ne sont naturellement pas omniscients. Organisations professionnelles,


ONG, cabinets de conseil et avocats spécialisés, entreprises, plusieurs milliers d’acteurs interviennent ainsi auprès des décideurs publics, afin de leur apporter un éclairage dans le cadre


de la construction de la loi et des textes réglementaires.


L’article 25 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 a inséré une section 3 bis au sein de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013. Sont ainsi des représentants d’intérêts au sens de la


législation les personnes morales de droit privé, les établissements publics ou groupements publics exerçant une activité industrielle et commerciale, les chambres de commerce, les chambres


des métiers et les chambres d’agriculture, dont un dirigeant, un employé ou un membre a pour activité principale ou régulière d’influer sur la décision publique, notamment sur le contenu


d’une loi ou d’un acte réglementaire.


Ces acteurs sont qualifiés de représentants d’intérêts lorsqu’ils entrent en communication avec un membre du gouvernement ou un membre de cabinet ministériel, un député, un sénateur, un


collaborateur du président de la République ou encore un représentant d’une autorité administrative indépendante ou d’une autorité publique indépendante.


Obligation de déclaration à la HATVP L’article 18-3 de la loi du 11 octobre 2013 impose notamment à tout représentant d’intérêts de communiquer à la Haute Autorité pour la transparence de la


vie publique (HATVP) son identité, le champ de ses activités de représentation d’intérêts, les actions relevant du champ de la représentation d’intérêts menées auprès des élus ou des


représentants de l’exécutif. Le décret n° 2017-867 du 9 mai 2017 précise les modalités de déclarations et le cadencement des informations devant être déclarées par les lobbyistes. Les


avocats sont normalement strictement tenus au secret professionnel. Leur règlement intérieur national prévoit des dispositions spécifiques à l’activité de lobbying. Ce règlement dispose que


l’avocat qui exerce l’activité de représentation d’intérêts auprès d’institutions ou d’administrations publiques, européennes ou internationales, doive, le cas échéant, après en avoir


informé ses clients, faire mention dans les registres prévus à cet effet, notamment, de leur identité et du montant des honoraires relatifs à sa mission.


Dans le cadre du lobbying territorial, l’article 213 de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022, dite 3DS, a par ailleurs étendu l’obligation de déclarer auprès de la HATVP les relations avec


des élus et agents des collectivités territoriales les plus importantes.


Registre de transparence européen Depuis juillet 2011, un registre de transparence est également tenu au niveau européen. Les institutions européennes ont abouti en juillet 2021 à un accord


concernant une évolution du dispositif. Les lobbyistes remplissent ainsi une déclaration annuelle dont les informations sont publiées dans le registre. Ces informations incluent le montant


des dépenses et l’objet des activités de lobbying qui peuvent prendre la forme de communication (événement, publications), de réunions avec des membres de la Commission européenne, de


contributions aux feuilles de route et consultations publiques utilisées par la Commission pour préparer ses propositions législatives, ou encore de participation à des groupes d’experts de


la Commission.


Déontologie En France, l’article 18-5 de la loi de 2013 prévoit que les représentants d’intérêts exercent leur activité avec probité et intégrité. Ils sont tenus de déclarer leur identité,


l’organisme pour lequel ils travaillent et les intérêts dans leurs relations avec les élus et les représentants de l’exécutif. Ils doivent également s’abstenir de proposer ou de remettre à


ces personnes des présents, dons ou avantages quelconques d’une valeur significative. Ils sont également tenus de s’abstenir de toute incitation à l’égard de ces personnes à enfreindre les


règles déontologiques qui leur sont applicables.


L’article 18-6 précise par ailleurs que la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique s’assure du respect des articles 18-3 et 18-5 par les représentants d’intérêts.


Elle peut se faire communiquer, sur pièce, par les représentants d’intérêts, toute information ou tout document nécessaire à l’exercice de sa mission, sans que le secret professionnel puisse


lui être opposé.


Vers plus de transparence concernant les prestations de conseils délivrées au profit de l’État


Le rapport 2022 sur l’état de droit remis le 13 juillet par la Commission européenne recommande à la France de veiller à ce que les règles sur les activités de lobbying soient appliquées de


manière cohérente à tous les acteurs concernés.


Le débat sur d’éventuelles évolutions législatives s’est récemment focalisé sur les prestations accomplies par les cabinets de conseil au profit de la sphère étatique.


En 2021, les dépenses en conseil de l’État français se sont élevées à 983 millions d’euros.


Compte tenu des enjeux financiers, une circulaire du Premier ministre, datée du 19 janvier 2022, relative à l’encadrement du recours par les administrations aux prestations intellectuelles,


recommande de diminuer de 15 % pour 2022 les dépenses en matière de stratégie et d’organisation.


Un rapport du Sénat a été publié le 16 mars 2022 concernant l’influence croissante des cabinets de conseil sur les politiques publiques. Ce rapport recommande notamment de publier chaque


année, en données ouvertes, la liste des prestations de conseil de l’État et de ses opérateurs et d’interdire les prestations dites pro bono, en dehors du mécénat dans les secteurs non


marchands (humanitaire, culture, social, etc.).


Dans le prolongement du rapport sénatorial, une proposition de loi a été adoptée en première lecture au Sénat le 18 octobre 2022 encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans


les politiques publiques. Sont notamment considérés au sens de cette loi comme des cabinets dits de conseil les cabinets de stratégie ou encore de communication. La proposition de loi


prévoit l’interdiction des missions pro bono ainsi qu’une évaluation des prestations délivrées par les cabinets de conseil au profit de l’État. Sous réserve d’être définitivement adoptée,


elle renforcerait également la déontologie qui s’applique aux cabinets de consultants. Le prestataire et les consultants devraient ainsi réaliser leurs prestations avec probité et intégrité.


Ils seraient tenus de veiller à prévenir ou à faire cesser immédiatement tout conflit d’intérêts, défini comme une situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics


ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif de leur mission. Avant chaque prestation de conseil, l’administration


bénéficiaire, le prestataire et les consultants s’engageraient également sur un code de conduite, qui précise les règles déontologiques applicables et les procédures mises en œuvre pour les


respecter.


Avant chaque prestation de conseil, le prestataire et les consultants seraient également tenus d’adresser à l’administration bénéficiaire une déclaration exhaustive, exacte et sincère des


intérêts détenus à date et au cours des cinq dernières années.


La proposition de loi organise par ailleurs un régime de sanctions spécifiques à l’encontre des consultants qui ne respecteraient pas leur obligation de déclaration d’intérêts. En cas de


manquement aux règles déontologiques, les cabinets de conseil risqueraient une amende administrative maximum de 2 % de leur chiffre d’affaires annuel mondial et les consultants une amende


maximum de 15 000 euros par manquement constaté. Ces amendes, susceptibles d’être rendues publiques, seraient, le cas échéant, prononcées par la nouvelle commission des sanctions créée


auprès de la HATVP. Une exclusion des marchés publics est également envisagée en cas de manquement.


Éviter le « pantouflage » et limiter les conflits d’intérêts Une autre difficulté réside dans les transferts potentiels de « recrues » du public vers le privé. Le passage du public vers le


privé n’est pas en soi répréhensible. Les compétences du secteur public alimentent celles du privé et réciproquement. La limite de l’exercice consiste toutefois à ne pas utiliser des


informations obtenues dans un précédent cadre professionnel au profit du nouvel employeur. La prise illégale d’intérêts ou « pantouflage » est un délit passible de trois ans d’emprisonnement


et d’une amende de 200 000 euros. Il consiste, pour une personne ayant eu des fonctions publiques, soit de conclure des contrats de toute nature avec une entreprise privée ou de formuler un


avis sur de tels contrats, soit de proposer directement à l’autorité compétente des décisions relatives à des opérations réalisées par une entreprise privée ou de formuler un avis sur de


telles décisions, de prendre ou de recevoir une participation par travail, conseil ou capitaux dans l’une de ces entreprises avant l’expiration d’un délai de trois ans suivant la cessation


de ces fonctions.


Montée en compétence des acteurs publics L’enjeu majeur ne correspond pas tant au coût des prestations qu’à la nécessité de former les agents publics tout au long de leur carrière concernant


les missions que l’État et les citoyens considèrent comme relevant des secteurs stratégiques non susceptibles d’être sous-traités au secteur privé. On pense en particulier à la nécessité de


préserver peut-être certains secteurs comme la santé, l’éducation, la sécurité ou encore la défense. Former les acheteurs publics à l’analyse des contenus et des livrables susceptibles


d’être produits par les cabinets de conseil constituera aussi un autre enjeu à venir (analyse lors de l’appel d’offres et évaluation de la prestation délivrée).


Pouvoirs publics et cabinets de conseil : des acteurs au service de l’intérêt général Les prestations de conseil délivrées au profit de l’État sont nécessaires, afin d’apporter un éclairage


d’experts au service de la puissance publique. La limite pour les cabinets de conseil consiste à ne pas se substituer à la décision politique, laquelle doit rester l’apanage exclusif des


acteurs publics.


Les pouvoirs publics doivent, quant à eux, répondre à l’objectif de respecter un équilibre entre maîtrise des dépenses publiques, d’une part, et d’apporter une réponse aux attentes légitimes


des citoyens en termes de qualité de service, d’autre part.


En conclusion, le lobbying connaît un essor depuis quelques années. Son développement s’accompagne d’un encadrement des pratiques par le législateur. L’objectif est de rendre plus


transparentes les actions menées par les représentants d’intérêts.


Référence : AJU006v0


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