« Ce n'est pas au photojournaliste de distinguer le vrai du faux » | la revue des médias


« Ce n'est pas au photojournaliste de distinguer le vrai du faux » | la revue des médias

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Avec les réseaux sociaux qui permettent un échange rapide et massif des images, que devient le rôle du rôle du photojournaliste ? Entretien avec Karim Ben Khelifa photojournaliste et


créateur de l’expérience de réalité virtuelle « The Enemy ».


Comment fait-on pour devenir photojournaliste, existe-t-il un chemin type ?


Karim Ben Khelifa : Non, ce n’est pas vraiment le cas. Je pense qu'aujourd'hui devenir photojournaliste est très difficile car il y a quand même beaucoup moins d'utilisations photographiques


payantes dans les médias. C'est très compliqué d’en vivre décemment. Après, il y a certaines filières qui sont des filières plus classiques du journalisme ou des filières de photographie et


on s'oriente d'une manière ou d'une autre. Soit du journalisme vers le photojournalisme ou de la photographie vers un travail plus journalistique, mais qui est avant tout une étude


visuelle.


Karim Ben Khelifa : J’ai pris un billet d'avion, je suis parti à la guerre avec des appareils photo et je ne me suis pas posé beaucoup plus de questions que ça à l'époque, et c'était une


manière démarrer. Ce n'est pas un métier où il faut un diplôme, mais plutôt un regard et une grande psychologie. Parfois, lorsque je parle de journalisme, plus particulièrement des


couvertures de guerre comme je l'ai fait, j’aborde la nécessité d'avoir cette capacité à évoluer sur des terrains compliqués. Mais pour ça il n'y a pas d'école. C’est avant tout un ressenti


personnel qui vous amène là-bas, « faire front » à ce que peut être la réalité avant qu'on la découvre et de voir si on s'y adapte, si on peut y travailler et se sentir opérationnel.


Karim Ben Khelifa : Ce qui m'a vraiment marqué finalement, c'est de me rendre compte que d'un côté et de l'autre des frontières de ces conflits, les gens sont similaires. On s'attend à de


grandes différences. Certes il y a des différentes culturelles, mais quand on touche à des questions humanitaires basiques, on se rend compte qu'il y a vraiment énormément de similarités


entre des gens qui se disent ennemis. Et ça, ça a été une grande surprise pour moi.


Comment travaillez-vous ? Est-ce que vous vous rendez sur des théâtres de guerres pour faire des photos que vous essayez ensuite de vendre à des médias ?


Karim Ben Khelifa : Non, je pars en commande. C’est un peu l'avantage d'avoir fait ça pendant des années, c'est d'avoir un travail qui est compris et reconnu par la rédaction, et qui me


permet de me faire proposer des sujets. Ce sont souvent des commandes, des projets.


Karim Ben Khelifa : En fait, tout s'est digitalisé, on est forcément dans un cycle de news qui est beaucoup plus rapide. Juste aujourd'hui, il y a peut-être 4 milliards de photos qui vont


être produites. Ce n'était pas le cas quand j'ai commencé à faire ma carrière dans les années 1990. Il n'y avait pas autant de photos qui étaient partageables, visibles par tout le monde,


n'importe où dans le monde.


Ce n'est pas juste le fait qu'il y ait beaucoup d'images qui soient produites tous les jours, c'est qu'il y a des appareils photo partout. En soi, ça a vraiment changé. Ça ne me gêne pas, je


ne pense pas que ce soit du tout un problème pour le métier de photojournaliste, parce qu'un photojournaliste est quelqu'un qui réfléchit à ses sujets, qui va aller travailler le fond,


apporter un regard, une narration au travers du visuel.


Ce n'est pas forcément ce que font les gens en photographiant. Mais par contre, tout est documenté c'est sûr. Tout est vu : s'il y a une voiture qui tombe d'un pont, on peut être presque sûr


qu'il y aura une vidéo ou une photo qui va être faite du moment où la voiture tombe, ou du moins de quand elle est arrivée en bas. Il n’y a plus vraiment de sens à faire ce qui tient à la «


 news », la « hard news », puisque de toute façon ça sera couvert d'une manière ou d'une autre.


Le photojournalisme a toujours été un métier relativement solitaire et quand on publie les images dans les magazines, on n'est pas à la rencontre de l'audience, du public. Ce genre de


plateforme-là permet cette rencontre, et je pense qu’en soi c'est une bonne chose.


Je pense qu’exactement au même titre que tout a explosé en termes d'échange des données avec le digital, les fake news elles aussi ont augmenté dans les mêmes proportions. Ce n'est pas


nouveau. Ça a toujours été là. Ce qui est nouveau ce sont les outils, la manière de cibler avec les datas des gens qui sont susceptibles d’être réceptifs à ces messages, ce qui n'était pas


forcément le cas par le passé, en tout cas pas aussi précisément. C’est un gros changement.


L'impact que ça peut avoir sur le photojournalisme est l’apparition d’une remise en question de la qualité de l'image, mais je crois qu'il faut être très honnête : il n'y a pas d'image


réellement honnête. Une image est un concentré de quelque chose, on a extrait d'une situation une autre situation. Le photojournalisme est vraiment un outil, une technique. Certains


choisissent des mots et les éditent, le photojournaliste choisit un cadre, un angle, une proposition qui va nous dire des choses, nous faire penser des choses. Une image est plus ouverte, à


l'interprétation que des mots qui peuvent être plus précis.


Mais au même titre que n'importe quelle forme de médiation, cela peut être utilisé aussi contre le message initial, bien sûr. Il y a de nombreux exemples de travaux de photojournalistes qui


ont été utilisés dans des médias, dans des contextes qui sont différents. La « fausse nouvelle » est aussi quelque part présente dans notre métier, et c'est très involontaire, ou alors


éthiquement discutable.


Karim Ben Khelifa : C'est absolument impossible. Il s’agit de procédures très longues. Il suffit que les sites indélicats soient hébergés à l'étranger pour qu'il n'y ait pas de poursuites


possibles. C'est un tout nouveau monde et je pense qu'à terme, les droits d'auteur et tout ce qui s’en rapproche vont complètement disparaître parce que cela deviendra complètement


ingérable.


Je crois que ça se fera encore sur certaines grandes œuvres, mais plutôt dans un cadre artistique. Au quotidien, de toute façon, si on choisit de mettre une photo sur Instagram ou un autre


réseau social, ceux-ci ont d’une certaine manière le droit de les réutiliser à volonté. Il y a aussi un choix à la base de la part des photojournalistes de mettre leur travail en


distribution dans des agences de photojournalisme.


Si cela existe encore, c'est parce que de grosses institutions comme Le Figaro reprennent des images qui elles-mêmes sont sujettes à paiement de droits d'auteur. Mais si vous parlez d'un


blog au Val-d'Isère, en Angleterre ou ailleurs, l’utilisation abusive d’images devient complètement impossible à gérer. Et je pense que c'est une perte de temps pour tout le monde  : que


va-t-on demander à un blog et qu’obtiendra-t-on comme dédommagement de sa part ? Presque rien.


Karim Ben Khelifa : J'ai effectué un travail photographique où je faisais un face-à-face de portraits avec une frontière physique entre les deux et dans une ambiance de guerre, avec des


interviews qu'on pouvait entendre d'un côté ou de l'autre de la frontière. Je me suis posé la question de savoir ce qui se passerait dans le journalisme si au lieu d'avoir des gens en photo,


on avait des gens face à nous qui nous regardent, qui nous parlent directement, dont on puisse voir le langage corporel, entendre la parole, tout ce qui fait la communication entre êtres


humains.


Karim Ben Khelifa : Je pense que c'est une profession qui est en danger et qui va continuer à souffrir. Je me demande si les photojournalistes ne doivent pas appréhender leur travail de


façon différente et de ne plus voir ça comme une source d'informations, mais plutôt comme la construction d’une source historique, un enregistrement des évènements, ce qu’il est


automatiquement, forcément.


Je pense que c'est ce qu’il y a à faire aujourd'hui car en termes de formation, il y a des choses qui vont beaucoup plus vite que ça, qui sont beaucoup plus précises. Je ne vois pas beaucoup


d'avenir dans le photojournalisme dans la manière dont on le comprend aujourd'hui.


Je pense que dans ce Nouveau Monde, la photographie est dévaluée même si elle est souvent le driver d'un trafic. Facebook s'est vraiment construit autour de la photographie, comme Instagram


et d'autres, mais pas en considérant les photojournalistes. Les gens qui ont construit ces plateformes ne les ont pas imaginées pour les photojournalistes, c'est bien trop marginal, et ils


ont bien raison parce que ça n'aurait pas suffi [par rapport à leurs besoins en contenus]. Je pense que ce sont de nouvelles pratiques. Si on regarde les nouveaux médias, forcément le


photojournalisme n'est pas quelque chose qui les intéresse et qui a une valeur pour eux. Là on parle de valeur commerciale. Les anciens médias ont de gros problèmes de financement à presque


tous les niveaux. C’est le cas de tous les métiers qui les constituent, notamment ceux du photojournalisme, parce qu’il y a des sources visuelles moins chères et plus diverses, qui


n'existaient pas il y a 20 ans.


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poste pour France 2 à Washington entre 2013 et 2018