Laurence haïm : « je ne suis pas que la fille qui a interviewé obama »


Laurence haïm : « je ne suis pas que la fille qui a interviewé obama »

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Comme ses consœurs américaines, Laurence Haïm se parait de couleurs vives pour souligner sa présence à tous les points presse.  © Crédits photo : montage La Revue des médias L’ancienne


correspondante de Canal+ aux États-Unis a mené une carrière parallèle, sous le nom de Laura Haïm, dans les médias américains. Elle vient d’achever un documentaire sur Donald Trump, produit


par Luc Besson. Mathieu Deslandes Publié le 25 octobre 2024 Finie. Grillée. Au rebut. En cet été 2023, Laurence Haïm se résout à penser que sa carrière est terminée. Au terme d’une saison


houleuse, LCI n’a pas renouvelé son contrat. Recrutée comme experte des États-Unis, la journaliste a vu sa position vaciller quand la guerre en Ukraine est devenue omniprésente sur la


chaîne. _« J’ai toujours considéré que le fait de parler de politique étrangère sans avoir été les pieds dans la boue était une hérésie, _dit-elle. _Or je ne suis jamais allée à Moscou, je


ne suis jamais allée en Ukraine. Je faisais des fiches mais je me sentais complètement illégitime. C’était terrible. »_ Sur ce malaise, se superposait une colère inextinguible depuis


l’apparition à l’antenne, comme éditorialiste internationale, d’une jeune femme qui, pendant des années, avait été son assistante, et que partout elle présentait comme sa fille adoptive.


Laurence Haïm s’est sentie trahie. Elle a considéré que sa protégée lui avait volé sa place. À ses amis, elle a répété : _« C’est _All about Eve_. » _Dans des dîners, elle a lâché quelques


piques. Elle s’est fendue d'un tweet aigre. Par lettre recommandée, l’avocat de la jeune femme l’a priée de cesser ses _« agressions »_ et son _« harcèlement »_. Laurence Haïm s’est


effondrée. DANS LA JUNGLE L’épisode suivant se déroule en septembre de la même année, au Plaza Athénée. Laurence Haïm a rendez-vous avec Luc Besson à l’heure du petit-déjeuner. Après le


rejet du pourvoi en cassation de Sand Van Roy, l’actrice qui l’accuse de viols, le réalisateur a dévoilé _DogMan_, son vingtième film. Laurence Haïm l’a découvert au Festival de Deauville.


Bouleversée, elle a tweeté son enthousiasme. Ils ont convenu de se rencontrer. Entre la journaliste et le cinéaste, tous deux convaincus d’être victimes d’injustice, l’entente a été


immédiate. De ce petit-déjeuner, qui s’est étiré jusqu’à 14 heures, Laurence Haïm est ressortie avec une garantie : Luc Besson et sa femme, Virginie Besson-Silla, produiraient son prochain


documentaire. Elle n’était donc pas tout à fait finie. Avant de se retirer _« dans la jungle »_, dans cette maison qu’elle possède sur la côte de Guanacaste, au Costa Rica, elle pourrait une


fois encore sillonner les États-Unis, caméra au poing, filmer une nouvelle campagne présidentielle et l’Amérique trumpiste. « LE TRUMPISME EST EN MARCHE » Ce documentaire doit être diffusé


le 5 novembre 2024 sur France 2, à 23 heures. Depuis la rentrée, elle est très présente sur le service public : à « C dans l’air » (France 5) et dans « L'Heure américaine » (France


Info), elle égrène des souvenirs de reportage et, anecdotes de terrain à l’appui, constate que _« le trumpisme est en marche »_. Elle sait capter l’attention : débit modéré, syllabes


martelées, elle peut souligner un mot d’un roulement d’œil ou d’une torsion de bouche. Elle est souvent lapidaire, toujours très concrète. Un soir de débat sur la dépendance aux opioïdes,


elle assène : _« En France, on dit : » L’Amérique, c’est le pays des fastfoods, y’en a partout. « Mais c’est fini. L’Amérique, c’est le pays des cliniques où on soigne les overdoses. Dans


des petites villes, vous pouvez avoir trois cliniques au même carrefour. »_ Voilà trois décennies qu’elle explique ainsi _« l’Amérique » _aux Français, fascinée par ce pays dont le présent


semble annoncer notre futur. À une époque où, pour les téléspectateurs de l’Hexagone, c’était de la science-fiction, elle a chroniqué l’interdiction de fumer au bureau et la vogue du feng


shui, les trottoirs sans crottes de chiens et l’addiction au Blackberry, l’épidémie de burn-out et la multiplication des salons de manucure,_ « qui sont à Manhattan ce qu’est le bar-tabac en


France »._ « ALORS, IL EST COMMENT, OBAMA ? » Un temps, elle a aussi expliqué la France aux Américains. Invitée sur MSNBC au soir de l’attentat contre _Charlie Hebdo_, elle déclare : _« Je


sais que vous voyez toujours la France comme ce beau pays avec plein de femmes, de vin et de french cancan. Mais c’est complètement terminé. Aujourd’hui, la France traverse une crise


d’identité majeure… » _Même rhétorique efficace, mais en anglais, avec cet accent à couper au couteau, acquis au lycée Carnot (Paris XVIIe), que n’aurait pas renié Maurice Chevalier. Ces


décryptages interculturels constituent son gagne-pain et _« c’est le drame de [sa] vie » _: _« Les Français viennent me chercher sur l’Amérique, et les Américains sur la France. Mais je n’ai


pas choisi d’être un pont. Moi, ce qui m’intéresse, c’est d’être là où ça se passe. » _Dans le studio où elle achève le montage de son film, elle peste aussi d’être si souvent réduite à son


coup du 2 juin 2009. Ce jour-là, les messages de félicitations s’empilent sur son téléphone. Canal+ vient de diffuser la première interview accordée par le président Obama à un média


français. _« Subitement, je suis devenue une femme à qui on demande _“Alors, il est comment, Obama ?”, se souvient-elle._ Je n’avais pas du tout imaginé que ça aurait un tel impact en


France. Comme si c’était le scoop de l’année. » _Elle secoue la tête. _« À la limite, si vous n’avez pas l’interview d’Obama après avoir passé deux ans à le suivre matin, midi, soir, aube et


nuit, de la campagne de l’Iowa à l’arrivée à la Maison-Blanche, c’est que vous avez tout raté. »_ FUREUR Elle fait mine d’avoir oublié sa fureur lorsqu’elle a su que la présidence


envisageait d’accorder cet entretien à Christian Malard, de France 3, qui, de Jimmy Carter à George W. Bush, collectionnait les interviews de dirigeants américains. Elle a _« harcelé »_


Robert Gibbs, le porte-parole de la Maison-Blanche, lui a rappelé que Canal+ était la seule antenne française à suivre Barack Obama au quotidien, que c’était _« la chaîne des jeunes »_,


notamment des jeunes arabes, ce qui n’était pas négligeable au moment où Washington s’efforçait de renouer avec le monde musulman. Elle a obtenu gain de cause. Un second entretien


présidentiel lui a même été accordé après les attentats du 13 novembre 2015. Afin d’atteindre cet objectif, elle a consenti des _« sacrifices » _personnels immenses. _« Je me levais à 5


heures et demie du matin et j’assistais à tous les briefings. Encore aujourd’hui, quand je vais à Washington, je suis obligée de mettre un GPS tellement je n’ai rien vu d’autre que la


Maison-Blanche. Le soir, je me couchais à moitié habillée tellement j’étais crevée. Je n’ai pas eu de vie. Je n’ai fait que bosser. » _Tout ça pour quoi ? Les larmes lui montent aux yeux. _«


 En France, je ne suis connue que pour ça, mais je ne suis pas que la fille qui a interviewé Obama ! »_ ASSISTANTE DE CHRISTINE OCKRENT _« Être là où ça se passe… »_ Au milieu des années


1980, pour elle, c’est être sur une piste de danse. À 17 ans, elle a raté le concours d’entrée à Sciences Po. Les boîtes de nuit seront son université. Cette fille de médecin fait la fête


avec Patrick Bruel, Richard Anconina, Michel Boujenah. Mais elle rêve de journalisme. Un patient de son père, l’animateur Patrice Laffont, l’accueille à Canal Versailles Stéréo, une radio


libre. De stage en stage, elle atterrit à RTL. Elle y découpe les dépêches la nuit (avec Christophe Dechavanne), découvre le reportage, devient l’assistante de Christine Ockrent et assure


une chronique _people_ dans le journal de Jean-Jacques Bourdin. _« J’étais payée pour sortir, pour aller au théâtre, au concert, couvrir les festivals, la vie du Tout-Paris, et raconter ce


que j’entendais la nuit. »_ LAURA En mai 1989, à Cannes, elle vient d’interviewer Mickey Rourke — qui, cette année-là, joue saint François d’Assise — lorsqu’elle entend, dans son casque, son


camarade Thierry Demaizière, en direct de Tian’anmen. Elle repense aux reportages de Martine Laroche-Joubert et de Marine Jacquemin, à ceux de Bernard Benyamin, aussi, en Amérique latine.


Sur la terrasse du Carlton, elle réalise qu’elle n’est pas_ « là où ça se passe »._ Hervé Chabalier, qui est en train de monter l’agence Capa, l’invite à le rejoindre : _« Tu ne seras pas


connue, _prévient-il, _mais tu feras cinq fois le tour du monde. » _Elle a 22 ans. Elle accourt. Elle raconte le sida en Tanzanie, le quotidien d’une cité d’Argenteuil, la Bosnie en guerre,


une filière d’adoption au Brésil, tout en rêvant de New York. En 1992, elle convainc Alain De Greef, le directeur des programmes de Canal+, d’ouvrir un bureau aux États-Unis. Laurence Haïm y


est envoyée pour trois mois. Elle y restera vingt-cinq ans. Là-bas, elle se fait appeler Laura (Lawrence étant un prénom masculin), affiche avec fierté ses yeux cernés, se convertit au jus


de cresson et, traumatisée par une légende urbaine, fait changer le règlement de son immeuble pour en interdire l’accès aux propriétaires de reptiles. DAN RATHER EN TERRASSE Son aventure


américaine aurait dû s’achever en 2001. En juin, la direction de Canal+ a ouvert un plan social. Son licenciement est programmé pour décembre. Via Capa, elle vend à « Envoyé spécial » un


reportage sur la police de Miami. Le 10 septembre 2001, elle repousse de quelques heures son départ de Floride pour passer une nuit avec un photographe. Le lendemain, à l’approche de New


York, le commandant de bord de son vol fait cette annonce : _« Let’s pray. »_ Son appartement, à deux pas du World Trade Center, est recouvert de cendres. Aucun doute : elle est _« là où ça


se passe »_. Elle filme tout ce qu’elle voit, prend goût à la caméra. i-Télé, la chaîne info du groupe Canal+, diffuse ses images. Son licenciement est annulé. Elle se sent plus Américaine


que jamais et demande la citoyenneté. _« Être là où ça se passe »_, en 2002, c’est foncer à Jérusalem après un attentat, poser des congés et travailler sans assurance pour rester bien


au-delà des deux semaines de reportage qui lui ont été accordées, voir un bus exploser sous ses yeux, repérer Dan Rather, la star du « CBS Evening News », buvant un café à proximité et, sans


détour, l’aborder : _« Do you need a camera ? »_ La voilà qui filme pour lui. Quand il lui demande son tarif pour le tournage qu’elle vient d’assurer, elle répond : _« I don’t want money, I


want to work with you. » _Deal. « JOURNALISME ÉMOTIONNEL » À CBS, elle devient _« la dernière lubie de Dan » _: une journaliste en roue libre, émancipée des règles syndicales du network,


capable de travailler seule,_ « comme une photojournaliste, mais avec une caméra ». _Elle couvre la guerre en Irak, le quotidien des femmes saoudiennes et des gangs haïtiens, le tsunami de


2004 dans l’océan indien. Pendant ses jours off, elle multiplie les reportages à Guantanamo avec le photographe James Nachtwey. Elle a consacré de nombreux sujets au conflit


israélo-palestinien ; elle pense ne plus jamais en tourner :_ « C’est compliqué, quand on est juif, de couvrir de manière objective le Proche-Orient. » _Elle ne se sent plus capable de _« 


gérer la charge émotionnelle que cette région suscite »_. Pour _« guérir »_ des souffrances ainsi côtoyées, elle réalise en 2006 un documentaire sur la communauté gay de Fire island. Il


offre un honnête aperçu du style qu’elle développe : narration à la première personne et commentaire sentimental ; tubes du répertoire classique en bande-son ; amour du zoom et des plans


séquences qui n’en finissent pas. Ses images, rarement stables, ont épuisé des générations de monteurs. On peut leur trouver ce charme fragile des films de famille captés au Caméscope. On


peut aussi émettre des réserves sur cette esthétique du mal de mer. Consciente de ses lacunes, elle _« regrette de ne pas savoir mieux filmer »_, mais revendique un _« journalisme émotionnel


 »_, qui implique d’être _« le plus près possible des gens » _et de _« [se] déplacer avec eux »_. CHEZ LES PARENTS DE GEORGE CLOONEY La saison suivante, Laurence Haïm court après George


Clooney. À 75 ans, Dan Rather est tombé en disgrâce. Son équipe est licenciée de CBS et la journaliste a besoin de se changer les idées. Elle s’invite chez les parents de l’acteur, Nina et


Nick Clooney — lui fut longtemps journaliste dans le Kentucky. Père et fils réalisent un film sur la guerre du Darfour ? Elle se passionne à son tour pour ce conflit. Elle rencontre un jeune


sénateur très investi sur ce sujet. Il s’appelle Barack Obama. Elle ne va plus le quitter, jusqu’à la Maison-Blanche. Elle est alors la seule correspondante française à y être accréditée.


_« Je ne suis pas une école de journalisme »_, lance-t-elle aux jeunes femmes qu’elle emploie comme assistantes. Elle leur apprend tout de même sa méthode : être sans cesse en alerte ;


répondre à un mail dès réception_ « même si tu es au volant »_ ; ne négliger aucun contact ; rentabiliser chaque rencontre ; refuser d’entendre le mot « Non » : _« Si la porte est fermée,


perce une fenêtre pour entrer. » _Comme ses consœurs américaines, elle se pare de couleurs vives pour souligner sa présence à tous les points presse._ _Elle exalte la dureté, déborde de


stress et d’affects. VOISINE DE BUREAU D’ALEXANDRE BENALLA Deux mandats plus tard, Laurence Haïm est encore une fois la seule journaliste française dans l’avion de campagne de Donald Trump.


L’équipe du candidat républicain a eu pitié d’elle quand la nouvelle direction d’i-Télé, nommée par Vincent Bolloré, lui a coupé les vivres. À Paris, la rédaction est en grève pour


l’indépendance éditoriale et contre l’arrivée à l’antenne de Jean-Marc Morandini, mis en examen pour corruption de mineurs. Alors, avec l’assentiment des grévistes, elle couvre la fin de la


campagne sur Twitter. Le soir de l’élection de Donald Trump, elle se retrouve_ « comme une conne » _à sa soirée de victoire. Elle est l’une des rares journalistes à avoir misé sur le bon


cheval, elle est _« là où ça se passe », _mais elle n’a plus de média. Privée de revenus, elle rentre en France et déprime devant sa télé._ « La communication a gagné,_ se dit-elle,_ l’accès


aux présidents est terminé pour tout journaliste politique normalement constitué. Ou alors, il faut travailler pour eux, et pour l’histoire. »_ Emmanuel Macron, en meeting, lui rappelle


Barack Obama dix ans plus tôt. La voilà qui se rêve en épigone de Pete Souza, grand photoreporter devenu photographe officiel à la Maison-Blanche. Elle approche le candidat. Il fait d’elle


une porte-parole, voisine de bureau d’Alexandre Benalla. L’expérience vire au fiasco. Tout juste a-t-elle le temps d’observer, déconcertée, la _« mollesse » _des journalistes politiques


français face au pouvoir. « JE VOULAIS FAIRE AMANPOUR » Elle regrette d’avoir cru qu’elle pourrait s’inscrire dans le sillage de Dee Dee Meyers et George Stephanopoulos, respectivement


porte-parole et conseiller de Bill Clinton à la Maison-Blanche devenus, pour l’une, journaliste à _Vanity Fair_ et, pour l’autre, vedette de la matinale d’ABC News. _« Quand j’ai voulu


revenir à ma vie d’avant, _confie-t-elle, _ça a été horriblement douloureux_. _Les patrons de chaîne acceptaient de me rencontrer mais au lieu de me proposer du travail, ils me demandaient


comment étaient Sibeth [Ndiaye] et [Benjamin] Griveaux. » _Elle regrette aussi, après son film sur le Darfour, de ne pas avoir présenté de projet à George Clooney._ « Il m’avait dit : _»


I’ll be there for you if one day you want to do something. « _Mais j’ai laissé filer l’occasion. » _Elle regrette enfin d’avoir _« complètement foiré »_ un entretien avec le président de


MSNBC. Aujourd’hui, elle en rit :_ « Je voulais être leur reporter internationale avec un accent. Je voulais faire Amanpour »_ — du nom de la superstar du reportage de la télévision


américaine. Elle aimerait toujours, même si l’âge est un défi._ « Dans ma tête, j’ai 20 ans, mais mon corps a 100 ans »_, exagère-t-elle. L’autre jour, elle a regardé une série de reportages


de Christiane Amanpour en Ukraine. _« Au lieu de faire comme tout le monde un de ces plateaux débiles en gilet pare-balles, elle se montre de dos, dans un long travelling, et on voit


qu’elle a du mal à marcher et à enjamber quelque chose qui s’est effondré. Elle a plus de 65 ans, elle continue à aller sur le terrain, et elle montre sa fragilité. Je trouve ça bien. »_