«C'est humiliant» : la greffière du tribunal d'Évry qui renseignait sa copine sur écoute condamnée à 18 mois d’interdiction d’exercer


«C'est humiliant» : la greffière du tribunal d'Évry qui renseignait sa copine sur écoute condamnée à 18 mois d’interdiction d’exercer

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«C'est humiliant» : la greffière du tribunal d'Évry qui renseignait sa copine sur écoute condamnée à 18 mois d’interdiction d’exercer Par  Maxime Dubernet de Boscq Le 29 mars 2024 Suivre


Sujets justice Lire dans l’app Copier le lien Lien copié Mail Facebook X Linkedin Messenger WhatsApp Le tribunal judiciaire de Créteil, dans le Val-de-Marne. JACQUES DEMARTHON / AFP


Greffière au tribunal d'Évry-Courcouronnes, la prévenue avait contacté une amie et son compagnon pour les prévenir d’une mise sur écoute dans le cadre d’une enquête policière de stupéfiants.


Passer la publicité Passer la publicité Publicité La greffière a jeté un bref regard vers sa place habituelle, occupée par une collègue, puis a pris place au micro en tant que prévenu. Pull


vert léger, cheveux bouclés, Ludivine F. comparaissait ce jeudi 28 mars devant la 10e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Créteil (Val de Marne) pour un délit inhabituel : la


révélation d’information à une amie sur une enquête de crime organisé, soit une violation du secret de l’instruction.


Les faits, commis courant janvier 2024, mettaient en cause cette jeune greffière du tribunal d'Évry-Courcouronnes (Essonne). Le 12 janvier, les enquêteurs de la sûreté d'Évry ont diligenté


une écoute des communications téléphoniques de plusieurs suspects dans une affaire de trafics de drogue, dont une certaine Dorina M. La greffière, 26 ans, arrivée au mois d'octobre auprès du


juge des libertés et de la détention (JLD) à Évry-Courcouronnes, quelques mois après sa sortie d’école, a tout de suite reconnu ce nom dans un dossier : il s'agit d'une de ses meilleures


amies.


Elle lui a alors envoyé un message sur l'application de messagerie, Signal, avec un message de prévention : «Attention, tu vas être placée sur écoute». Dorina M. ne se livre pas au trafic de


drogue, au contraire de son petit copain, mais prend immédiatement son téléphone pour prévenir son compagnon. «Quand vous avez des amis comme ça, pas besoin d'avoir d'ennemi», grince Me


Harir, l’avocat de la prévenue ce jeudi. Les forces de polices, elles, sont surprises à l'écoute de cet appel.


«C'est humiliant, la pire décision que j'ai pu prendre» Quelques semaines plus tard, au cours d'un coup de filet, Dorina M. est placée en garde à vue et reconnaît avoir été prévenue par son


amie greffière. Surpris, les enquêteurs ont interpellé Ludivine F. sur son lieu de travail, au tribunal judiciaire d'Evry-Courcouronne, et cette dernière a reconnu les faits au cours de ses


48 heures de garde à vue, faisant part immédiatement de ses regrets.


La présidente, après avoir rappelé le parcours sans heurts de la prévenue jusque-là, entre un BTS banque et un concours de greffière obtenue haut la main à Dijon, a aussi rappelé une


deuxième infraction. «Vous avez aussi consulté Cassiopé (Chaine Applicative Supportant le Système d'Information Oriente Procédure pénale Et Enfants, un logiciel interne NDLR) pour regarder


la situation du petit ami de votre amie, rappelle-t-elle. Ma question est simple : comment ne pas avoir conscience de commettre des erreurs alors que vous saviez que c'était une infraction 



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«Jamais je n'aurais pensé me retrouver dans cette situation, répond-elle, ton assuré et mature. C'est humiliant, la pire décision que j'ai pu prendre.» Dans un élan de remise en question,


elle se demande si son choix de «rejoindre le JLD, un si gros service, n'était pas un mauvais choix.» Pourtant, elle «aime ce métier» et «souhaiterait continuer à l'exercer». La présidente,


elle, s'interroge plutôt sur le serment des greffiers : «Je jure de bien et loyalement remplir mes fonctions et de ne rien révéler ou utiliser de ce qui sera porté à ma connaissance à


l'occasion de l'exercice de mes fonctions». Avant de cingler : «On peut se demander si c'est une profession qui est faite pour vous. Vous avez failli mettre en péril l'enquête. On ne peut


pas consulter les dossiers professionnels, vous ne l'avez pas vu pendant vos études ?»


La qualité des cours de déontologie vus en école a été par la suite au centre des débats. «Il n'y a pas de cours de ce type dans votre formation ?», s'est interrogée la présidente. Pendant


sa plaidoirie, Me Harir lui a répondu. «Il y a 52 semaines de stage et 12 semaines de cours, dont seulement quatre heures de déontologie qui ont été faites à distance car elle faisait partie


de la génération Covid. Elle n'a pas eu de formation précise sur plein de points.» L'avocat de la défense a aussi souligné que l'enquête policière avait pu être menée à bien «avec des


nombreuses interpellations» malgré la faute de sa cliente.


La notion de confiance en toile de fond La substitute du procureur, elle, s'est lancée dans une longue tirade sur la notion de confiance. « Comment peut-on travailler ensemble en tant que


magistrat si on ne peut plus avoir confiance en nos collègues qui œuvrent au quotidien avec nous ? C'est tout l'équilibre de l'institution qui s'écroule. Le serment d'engagement est un


serment qui passe avant tout, avant même d'aider ses amis. C'est à l'agent de décider et de choisir les engagements de notre vie privée. Ici, l'envoi de ce message est tout simplement du


sabotage pour les effectifs de police qui essaie de démanteler un réseau de trafic de drogue. »


Un terme qui a fait bondir l'avocat. «Je pense que c'est plutôt un sabotage de la vie de ma cliente, a-t-il crié, si fort qu'un policier devant la salle est venu vérifier qu'il n'y avait pas


de heurts dans la salle d'audience. Il faut la sanctionner de manière raisonnable, elle n'a jamais fauté de toute sa vie.» Me Harir a tout de même remercié la substitute «car c'est


peut-être la première fois qu'on sensibilise ma cliente sur la notion d'intérêt !». L’avocat a aussi souligné le manque d’accompagnement lors de l’arrivée de Ludivine F. en octobre «malgré


les responsabilités importantes de son nouveau poste» et que «la mise sur écoute de sa meilleure amie dix jours après son arrivée au sien du JLD» ne peut pas être un argument négligeable.


La présidente n'a pas suivi les recommandations de la substitute du procureur, qui demandait 18 mois d'emprisonnement avec sursis et deux ans d'interdictions d'exercer le métier de


greffière. Elle a toutefois déclaré la jeune femme coupable et l'a condamné en début de soirée, par jugement contradictoire, à une interdiction d'exercer pendant 18 mois son métier de


greffière, sans toutefois prononcer de peine d'emprisonnement. Elle risquait sept ans d'emprisonnement.