Il y a 50 ans, les prostituées de lyon trouvaient «refuge» dans une église pour dénoncer la répression


Il y a 50 ans, les prostituées de lyon trouvaient «refuge» dans une église pour dénoncer la répression

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Le 2 juillet 1975, 150 prostituées étaient entrées dans l’église Saint-Nizier pour interpeller l’opinion et les autorités, lançant le débat sur de la prostitution en France. Publicité _«Nos


enfants ne veulent pas de leur mère en prison». _Ce 2 juin 1975, plus de 150 prostituées occupent l'église de Saint-Nizier, à Lyon, et y déploient leur banderole pour dénoncer «la


répression policière», se souviennent ceux qui les ont soutenues. La date est depuis devenue la journée internationale des travailleurs du sexe. _«Il fallait un lieu refuge, pas un lieu où


la police viendrait nous chasser»_, raconte à l'AFP le père Christian Delorme, 74 ans, à l'époque étudiant, qui les a accompagnées à l'intérieur de l'édifice religieux


huit jours durant. _«Ces femmes prostituées, souvent des mères, se sont retrouvées avec succession d'amendes et la menace de la prison»_, explique le prêtre du diocèse de Lyon, alors


président du Mouvement pour une alternative non-violente et engagée au Mouvement du Nid, qui aide les prostituées. Procès-verbaux, détentions arbitraires, rappels d'impôts et meurtres


non élucidés de trois d'entre elles : les prostituées en ont _«ras-le-bol»_. Alors ensemble leur vient _«l'idée d'un grand cri pour dénoncer une répression policière qui


pénalisait vraiment les femmes et mettait en danger leur famille»_, témoigne le père Delorme. Le 2 juin, un rendez-vous est fixé par les prostituées à 10h00 face à la basilique


Saint-Bonaventure. Complices, des journalistes s'y garent, mais il s'agit d'une tromperie : les femmes entrent en réalité dans l'église de Saint-Nizier, 400 mètres plus


loin, où le curé Antonin Béal leur ouvre la porte. «DES MAMANS SEULES» Cette occupation pacifique est _«une grande surprise»_ pour les Lyonnais, qui montrent à la fois_ «hostilité» et


«respect»_ envers ces femmes, se remémore Michel Chomarat, alors âgé de 27 ans et partageant le trottoir avec elles pour _«draguer»_ les hommes. Lui aussi subit la répression policière.


_«L'opinion publique a découvert que c'étaient d'abord des femmes et souvent des mamans seules. Ça, c'est un énorme acquis»_, se félicite Christian Delorme, plus tard


surnommé le _«curé des Minguettes»_ et l'un des initiateurs de la «Marche des Beurs» contre le racisme en 1983. Surtout, pour la _«première fois»_, les prostituées sont entendues


d'une _«voix directe»_ et sans _«intermédiaire»_, admire Cybèle Lespérance, travailleuse du sexe de 44 ans et coautrice d'une publication sur la révolte de 1975, publiée en mai par


l'association Tullia. Le mouvement a _«un écho médiatique immédiat»_, et les femmes voient, _«grisées»_, des journalistes _«du monde entier»_ débarquer devant l'église, se


souvient le père Delorme. La «flamboyante» Ulla, désignée porte-parole du Collectif des femmes prostituées, et sa comparse Barbara, «_qui rassurait beaucoup les femmes»_, multiplient les


interviews. Le religieux aide à rédiger les revendications et l'église occupée devient «un lieu d'expression de la parole». L’ÉGLISE SAINT-NIZIER OCCUPÉE PAR LES PROSTITUÉES Devant


l'édifice, curieux et soutiens se rassemblent, certains apportent des fleurs, des commerçants de la nourriture. Les mouvements féministes, pour qui la prostitution était un angle mort


des réflexions, les soutiennent. _«Ça nous est un peu tombé dessus»_, concède Christiane Ray, 82 ans, alors militante féministe qui _«apporte des panneaux devant l'église pour


exprimer»_ son soutien. _«C'était très agité, il y avait beaucoup de monde» _et _«des réflexions très malveillantes des hommes»_, rappelle l'ancienne enseignante. Partout en


France, plusieurs centaines de prostituées se mettent en grève ou occupent les églises dans une dizaine de villes. C'est la _«fin de la moquerie»_ et la prostitution devient un _«sujet


de société»_, explique Cybèle Lespérance. L'église est finalement évacuée le 10 juin à 6h00 du matin par une centaine de policiers_ «casqués» _et accompagnés de chiens, sans


l'autorisation des religieux. _«Ça a été très violent, parce qu'on ne s'y attendait pas, je tremblais»_, raconte Christian Delorme. Barbara est rouée de coups, Ulla est


évacuée sur une civière vers l'hôpital. L'État commande par la suite le rapport Pinot sur la prostitution, mais l'enterre aussitôt. À Lyon, des prostituées quittent le


trottoir, d'autres y restent. Cinquante ans plus tard, la plupart sont décédées et aucune n'a pu être contactée par l'AFP. _«Le bilan n'est pas très bon, il n'y a


pas eu beaucoup de victoires»_, constate Cybèle Lespérance, toutefois _«émerveillée»_ par cette révolte dont les commémorations ont lieu depuis samedi à Lyon.