Pourquoi certaines plantes ont-elles différentes formes de feuilles ?


Pourquoi certaines plantes ont-elles différentes formes de feuilles ?

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POURQUOI CERTAINES PLANTES ONT-ELLES DIFFÉRENTES FORMES DE FEUILLES ?


Vous avez sans doute déjà croisé du houx en forêt, dans un jardin ou même en décoration de Noël. Ses feuilles piquantes sont bien connues. Mais avez-vous déjà remarqué que toutes ne sont pas


armées de piquants ? Sur une même plante, on trouve des feuilles épineuses en bas et d'autres lisses plus haut. Ce n'est pas une erreur de la nature, mais un phénomène botanique


fascinant : l'hétérophyllie, un mot qui vient du grec _heteros_ (signifiant « différent ») et de _phullon_ (qui désigne la « feuille »).


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Cette particularité s'observe chez de nombreuses espèces, aussi bien terrestres qu'aquatiques, où un même individu peut produire des feuilles très différentes par leur taille, leur


forme, leur structure, voire leur couleur. Loin d'être simplement esthétique, cette diversité joue un rôle crucial dans la survie, la croissance et la reproduction des plantes.


L'HÉTÉROPHYLLIE, FACULTÉ D'ADAPTATION OU DONNÉE GÉNÉTIQUE


Mais d'où vient cette capacité à changer de feuilles ? L'hétérophyllie peut être déclenchée par des variations de l'environnement (lumière, humidité, faune herbivore…). Cette


faculté d'adaptation est alors le résultat de ce que l'on appelle la plasticité phénotypique. L'hétérophyllie peut aussi résulter d'une programmation génétique propre à


certaines espèces, qui produisent naturellement plusieurs types de feuilles. Quelle qu'en soit l'origine, la forme d'une feuille est le résultat d'une série


d'ajustements complexes en lien avec les conditions environnementales.


À LIRE AUSSI PEUT-ON VACCINER LES PLANTES CONTRE DES VIRUS, COMME POUR LES HUMAINS ? Prenons le cas du houx commun (_Ilex aquifolium_), qui offre un exemple frappant d'hétérophyllie


défensive en réaction à son environnement. Sur un même arbuste, les feuilles basses, à portée d'herbivores, ont des piquants ; celles plus haut sur la tige, hors d'atteinte des


animaux, sont lisses et inoffensives. Cette variation permet à la plante d'optimiser ses défenses là où le danger est réel, tout en économisant de l'énergie sur les zones moins


exposées car produire des épines est coûteux.


Des recherches ont montré que cette répartition n'est pas figée. Dans les zones très pâturées, les houx produisent plus de feuilles piquantes, y compris en hauteur, ce qui indique une


capacité de réaction à la pression exercée par les herbivores. Cette plasticité phénotypique est donc induite par l'herbivorie. Le houx n'est pas un cas isolé. D'autres


plantes déploient des stratégies similaires, parfois discrètes, traduisant une démarche adaptative : modifier la texture, la forme ou la structure des feuilles pour réduire l'appétence


ou la digestibilité, et ainsi limiter les pertes de tissus.


La lumière joue un rôle tout aussi déterminant dans la morphologie des feuilles. Chez de nombreuses espèces, les feuilles exposées à une lumière intense n'ont pas la même forme que


celles situées à l'ombre. Les feuilles dites « de lumière », que l'on trouve sur les parties supérieures de la plante ou sur les branches bien exposées, sont souvent plus petites,


plus épaisses et parfois plus profondément découpées. Cette forme favorise la dissipation de la chaleur, réduit les pertes d'eau et augmente l'efficacité de la photosynthèse en


milieu lumineux. À l'inverse, les feuilles d'ombre, plus grandes et plus minces, sont conçues pour maximiser la surface de captation de lumière dans des conditions de faible


éclairement. Elles contiennent souvent davantage de chlorophylle, ce qui leur donne une couleur plus foncée.


Ce contraste est particulièrement visible chez les chênes, dont les feuilles supérieures sont épaisses et lobées tandis que celles situées plus bas sont larges, souples et moins découpées.


De très nombreuses plantes forestières présentent également ces différences. Sur une même plante, la lumière peut ainsi façonner les feuilles en fonction de leur position, illustrant une


hétérophyllie adaptative liée à l'exposition lumineuse.


Chez les plantes aquatiques ou amphibies, l'hétérophyllie atteint des formes encore plus spectaculaires. Certaines espèces vivent en partie dans l'eau, en partie à l'air


libre, et doivent composer avec des contraintes physiques très différentes. C'est le cas de la renoncule aquatique (_Ranunculus aquatilis_), qui produit des feuilles très différentes


selon son emplacement. Les feuilles immergées sont fines, allongées et très découpées, presque filamenteuses.


À LIRE AUSSI COMMENT LES PLANTES CULTIVENT LA PRODUCTIVITÉ AU BUREAUCette morphologie réduit la résistance au courant, facilite la circulation de l'eau autour des tissus et améliore les


échanges gazeux dans un milieu pauvre en oxygène. En revanche, les feuilles flottantes ou émergées sont larges, arrondies et optimisées pour capter la lumière et absorber le dioxyde de


carbone de l'air. Ce phénomène est réversible : si le niveau d'eau change, la plante ajuste la forme de ses nouvelles feuilles.


À Découvrir LE KANGOUROU DU JOUR Répondre La sagittaire aquatique (_Sagittaria spp_.) présente elle aussi une hétérophyllie remarquable, avec des feuilles émergées en forme de flèche,


épaisses et rigides, et des feuilles souvent linéaires et fines sous l'eau. Ces changements illustrent une stratégie morphologique adaptative, qui permet à une même plante


d'exploiter efficacement des milieux radicalement différents.


_* Céline Leroy, directrice de recherche en écologie tropicale, Institut de recherche pour le développement (IRD)._