Émoi en RDC avant le transfert de 12 chimpanzés d’un sanctuaire vers un zoo


Émoi en RDC avant le transfert de 12 chimpanzés d’un sanctuaire vers un zoo

Play all audios:


ÉMOI EN RDC AVANT LE TRANSFERT DE 12 CHIMPANZÉS D’UN SANCTUAIRE VERS UN ZOO


« Si la mission dit vrai, les chimpanzés seront envoyés dans un véritable mouroir », alerte Sara Rosenberg, ancienne bénévole au Centre de réhabilitation des primates de Lwiro (CRPL) en


République démocratique du Congo. Ce sanctuaire, perché sur les hauteurs à 45 km à l'ouest de Bukavu_, _dans le parc national de Kahuzi-Biega, classé au patrimoine mondial, abrite des


rescapés du braconnage, 130 en tout. Mais aujourd'hui, douze d'entre eux sont promis à un exil vers le Jardin zoologique et botanique de Kinshasa, un lieu délabré où


l'indigence règne : peu de nourriture, de soins et de suivi vétérinaire.


Recevez l’information analysée et décryptée par la rédaction du Point.


Merci ! Votre inscription a bien été prise en compte avec l'adresse email :


Pour découvrir toutes nos autres newsletters, rendez-vous ici : MonCompte


En vous inscrivant, vous acceptez les conditions générales d’utilisations et notre politique de confidentialité.


Alors que les affrontements se sont intensifiés, après l'entrée des rebelles congolais du M23 à Goma, la capitale du Nord-Kivu, l'annonce a provoqué une onde de choc. Associations,


experts et habitants dénoncent une décision précipitée, prise sans concertation et dénuée de garanties pour le bien-être des animaux. Le CRPL, reconnu comme un pilier de la sauvegarde des


primates et de la biodiversité en Afrique centrale, est tout le contraire du zoo de Kinshasa, exigu, vétuste, incapable d'accueillir ces êtres traumatisés. À Kinshasa, les chimpanzés ne


trouveront pas refuge. Pour eux, ce transfert n'est pas une seconde chance, mais une trahison.


Le 7 janvier, le directeur de l'Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN), organisme co-gestionnaire du CPRL et du zoo de la capitale, signe un ordre de mission pour


permettre au directeur du zoo de Kinshasa de récupérer ces douze chimpanzés. Un document qui semble sortir de nulle part. Ni le ministère de l'Environnement, ni les partenaires de


longue date du sanctuaire, ni même les antennes locales de l'ICCN n'ont été informés.


« Il y a eu un forcing au sommet pour accélérer ce processus de transfert, une précipitation troublante, menée dans le dos des acteurs de terrain qui jette une ombre sur les intentions


réelles de ce projet, confie au _Point_ Josue Aruna, président de la société civile environnementale du Sud-Kivu et directeur exécutif du Réseau Congo Conservation Society.


À LIRE AUSSI COP28 : LE MIRAGE DES CRÉDITS CARBONE FORESTIERS


Cette manière de faire a suscité la crainte d'un mécanisme de vente illégale d'espèces. » D'autant plus que l'ICCN, même s'il ne faut pas condamner l'ensemble


de l'institution, est régulièrement au cœur d'affaires de trafic et de corruption. Il y a quelques mois, un trafic de singes a été intercepté à Lomé. Il y a deux ans, c'est


l'ancien directeur, suspendu pour « mauvaise gestion », qui s'est fait interdire de séjour sur le territoire américain pour trafic international de chimpanzés et d'okapis.


Contacté par WhatsApp, l'actuel directeur de l'ICCN, Yves Milan Ngangay, n'a pas donné suite à nos sollicitations.


« POURQUOI REPEUPLER UN ZOO DÉLABRÉ AVANT DE RÉNOVER SES INFRASTRUCTURES ? »


La société civile du Sud-Kivu, soutenue par le gouverneur de la province, a rejeté fermement cette initiative. Dans un communiqué ciselé, les organisations environnementales locales ont


exprimé leur désarroi : « L'ordre de mission ne fournit aucune garantie rassurante pour les primates concernés, ni en termes de conditions de vie ni en termes de destination finale. »


Face à ce transfert jugé absurde, les opposants préconisent plutôt une réintroduction des chimpanzés dans leur habitat naturel, notamment au Parc national de Kahuzi-Biega (PNKB),


conformément aux directives de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). « Pourquoi repeupler un zoo délabré avant de rénover ses infrastructures ? Pourquoi


ignorer les partenaires engagés dans la conservation ? » interroge Sara Rosenberg. À LIRE AUSSI LES SINGES ONT-ILS DE L'HUMOUR ?


Pour Adrien W. N'Koghe Mba, petit-fils du premier président gabonais Léon Mba et fervent défenseur de la biodiversité des forêts du bassin du Congo à travers l'association Les Amis


de Wawa : « C'est un sujet très pointu. Je n'ai pas toutes les clés en main pour comprendre. Il faut miser sur la pédagogie pour éclairer ces enjeux. Mais, connaissant


l'Afrique centrale, je suis convaincu qu'on ne nous dit pas tout. »


Le Jardin zoologique et botanique de Kinshasa, confiné à sept hectares de terrain, est une structure qui n'a ni la taille ni les conditions nécessaires pour accueillir des chimpanzés


rescapés du braconnage. En novembre 2024, le ministre du Tourisme avait annoncé un projet de rénovation majeure, mais, aujourd'hui, les travaux n'ont pas encore vu le jour car les


donataires ne sont pas encore connus. « Ce transfert est une inversion de priorités », martèle Josue Aruna.


Ces primates sont encore marqués par des traumatismes profonds. Ils ne sont pas prêts pour une telle transition. Arrachés à leur habitat, certains ont été capturés dans des conditions


atroces, piégés dans la forêt, témoins du massacre de leurs mères. Ces épreuves laissent des séquelles profondes. Leur fragilité exige un lieu sûr, des soins réguliers, une stabilité. Rien


de tout cela ne semble être garanti au zoo de Kinshasa. »


À LIRE AUSSI VIOLENCES SEXUELLES : QU'EN EST-IL DE NOS COUSINS PRIMATES ?


Sara Rosenberg ajoute : « Le processus de réhabilitation est très long. Traumatisés physiquement et psychologiquement, les chimpanzés se reconstruisent au contact de congénères qui forment


leur nouvelle famille. Tous les zoos sérieux qui ferment pour rénovation transfèrent leurs animaux. »


« UNE ÉTUDE DE FAISABILITÉ SÉRIEUSE, FONDÉE SUR DES DONNÉES SCIENTIFIQUES, EST NÉCESSAIRE »


Face à la controverse, l'ICCN, financée en partie par l'Union européenne, a publié un communiqué pour défendre son programme, qualifié d'« innovant ». Un programme qui se veut


la panacée : « Sauver et restaurer des espèces menacées, aménager des infrastructures modernes, mener des recherches scientifiques, perfectionner les techniques de reproduction. » Une


vision ambitieuse, mais qui soulève des questions. À LIRE AUSSI 28 FÉVRIER 1927. LE JOUR OÙ DEUX CHIMPANZÉS REÇOIVENT DU SPERME HUMAIN


« Avant d'envisager tout peuplement, il est primordial de renforcer les compétences des agents affectés au zoo », insiste Josue Aruna. « Une étude de faisabilité sérieuse, fondée sur


des données scientifiques, est nécessaire afin de déterminer si ces chimpanzés doivent provenir d'un centre de réhabilitation ou si le gouvernement doit déployer des experts pour


récupérer ceux détenus illégalement dans des habitations privées à travers le pays. »


L'ICCN assure que la collecte de spécimens pour ce programme est essentielle et doit impérativement passer par les sanctuaires et parcs animaliers. Or, le CRPL, soutenu par des


institutions de renom telles que le Jane Goodall Institute, est membre de la Pan African Sanctuary Alliance (PASA), qui impose une règle claire : « Les sanctuaires membres n'ont pas le


droit de vendre, d'échanger, de prêter ou de faire le trafic d'animaux sauvages, sauf si cela sert le bien-être de l'animal. »


À LIRE AUSSI ORQUES CHERCHENT DÉSESPÉRÉMENT REFUGE DÉCENTCe qui n'est pas le cas pour l'instant. Face à ces incohérences, le spectre du trafic déguisé plane. Des tentatives de


pression ont été dénoncées. « Une personne m'a proposé une enveloppe pour publier un communiqué favorable au projet », lâche Josue Aruna, le directeur exécutif du Réseau Congo


Conservation Society.


Sébastien Musset, président-fondateur des Terres de Nataé, un parc animalier basé à Pont-Scorff (Morbihan) engagé entre autres dans la protection des espèces menacées par la reproduction et


la réintroduction, estime qu'il peut être judicieux de « délester » un sanctuaire surpeuplé en plaçant certains animaux dans d'autres structures. « Certains individus sont


incapables de manger seuls. Ils se sentiront beaucoup plus sereins en captivité que dans le milieu naturel. Mais encore faut-il que les structures d'accueil soient préparées à les


accueillir correctement », nuance cet ancien haut dirigeant, diplômé de Centrale Paris.


LES CHIMPANZÉS, DES ÊTRES QUI EXIGENT UNE OBSERVATION QUASI PERMANENTE


Le zoo de Kinshasa est censé être en pleine modernisation depuis plusieurs années, mais les investissements promis ne semblent pas avoir été réalisés. La prise en charge des chimpanzés exige


des compétences pointues en zootechnie, une équipe qualifiée et une surveillance quasi permanente. Ces primates sont extrêmement intelligents et sensibles ; un manque d'attention peut


engendrer des troubles du comportement, des stéréotypies ou des épisodes d'agressivité. Il faut leur consacrer une observation quasi permanente. Dans ce dossier, les garanties semblent


insuffisantes. »


L'avenir, dans tout cela, reste incertain. Quel sera le choix du gouvernement de la RDC, où règnent à l'Est le chaos et la terreur ? Va-t-il faire preuve de transparence et


respecter les engagements pris dans le cadre de la PASA, ou choisira-t-il d'ignorer les orientations des experts en conservation et les préoccupations exprimées par la société civile ?


La réponse semble suspendue, et une réunion, où toutes les voix pourront se faire entendre, s'impose pour dissiper cette brume d'incertitude.