(1/5) saul perlmutter, le nobel qui autopsie les étoiles mortes
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« Vous me suivez ? » Non, pas vraiment, mais comment dire la vérité ? On m’avait prévenu : il est possible de poser une première question à Saul Perlmutter. Il est très difficile d’en poser
une seconde. L’astrophysicien est sur le point d’entrer une deuxième fois dans l’histoire de la science. Nous sommes en 2011. Dans deux jours, le directeur du Supernova Cosmology Project, un
programme multinational géant qui autopsie les étoiles mortes pour tenter de comprendre comment l’univers est né, se verra décerner le prix Nobel de physique. Son premier moment de gloire
remonte à 1998. À l’époque, Perlmutter dirige l’une des deux équipes qui stupéfient le monde en démontrant l’impensable : les galaxies s’éloignent les unes des autres encore plus rapidement
que lors de la naissance de l’univers, lors du fameux big bang, il y a 13,7 milliards d’années. Sur la base de calculs de distances entre les étoiles, il a « photographié » ce grand virage
de l’histoire universelle : voici environ 6 milliards d’années, après une première phase de ralentissement, la vitesse d’expansion des galaxies a « soudainement » augmenté. Il a « suffi »
d’observer les supernovae, ces étoiles qui implosent en mourant, et de rapporter la date de l’événement à leur distance par rapport à la Terre pour déterminer que l’hypothèse du
ralentissement continu était caduque. Les conséquences sont énormes : l’univers ne s’écroulera pas sous l’effet de la gravitation. Ouf ! Au contraire, l’univers deviendra de plus en plus
vaste, de plus en plus épars, de plus en plus vide. Pour l’astrophysique, c’est presqu’aussi important que la découverte du Polonais Nicolas Copernic qui démontra que c’est la Terre qui
tourne autour du Soleil, et pas l’inverse. Mais quand on a fait une découverte aussi stupéfiante, que reste-t-il à faire ? La célèbre voix ne relâche pas une seconde son effrayant staccato
:« Depuis quinze ans, nous vérifions ce que nous avons découvert. » Pourquoi l’univers accélère-t-il ? Il existe plusieurs réponses concurrentes, qu’il faut isoler les unes des autres.
L’enjeu est intellectuel, scientifique mais aussi philosophique, car chaque explication porte en elle un destin différent pour l’univers. Pour l’instant, la solution est contenue dans un
mystère, celui de l’« énergie sombre », cette force mystérieuse présente partout en quantités infimes, qui repousse les galaxies de plus en plus loin les unes des autres et de plus en plus
vite. Le vide intersidéral, décidément bien rempli, contient 70 % d’énergie sombre, 23 % de « matière noire » — que l’on ne parvient à identifier que par sa masse — et seulement 5 % de
planètes et d’étoiles.Ce que Perlmutter a prouvé, ce n’est pas l’existence de l’énergie sombre, mais plutôt l’impossibilité de son inexistence. Sans elle, l’univers est physiquement
impossible. Alors, depuis quinze ans, des milliers de physiciens à travers le monde cherchent dans quel angle mort de leurs équations elle se cache. Cette « énergie sombre » fait peser sur
le monde une menace impalpable, à mi-chemin entre science-fiction et épouvante : si sa densité reste constante dans le temps et si l’univers s’étend, alors toutes les autres composantes de
l’univers seront diluées, et cette énergie dominera de plus en plus. Dans une poignée de milliards d’années, il ne restera presque plus qu’elle… L’univers sera devenu un océan d’énergie
sombre ! Saul Perlmutter l’avoue sans détours : « Cela m’a pris longtemps pour accepter ce que j’avais démontré. » Mais si on se fie au passé récent, toutes les recherches aux frontières de
la physique fondamentale ont apporté des avancées décisives en matière d’énergie nucléaire, de lasers à énergie, de semi-conducteurs, le tout découlant des progrès accomplis en mécanique
quantique au début des années 1930. Un jour peut-être, l’énergie sombre transformera elle aussi toutes les lois de la physique. Après tout, c’est en cherchant à expliquer comment la Lune
était attachée à la Terre par la gravitation et tournait en orbite qu’Isaac Newton a développé des méthodes de calcul mathématique qui se sont révélées ensuite, et sont toujours, des outils
d’une force scientifique phénoménale.