"lorsque tu as envie de réussir, peu importent tes origines et d'où tu viens, tu peux réussir"


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Sami Raouafi voit grand. À 29 ans, ce chef d'entreprise s'est installé depuis quelques mois à "Novaffaires", un lieu qui propose à de jeunes pousses de domicilier leur


_business_. Une succession de boîtes aux lettres, des petites pièces blanches à la déco sobre et presque impersonnelle. Mais surtout une adresse qui claque: 27 boulevard de l'Ariane.


Autant dire un nid à fantasmes: "_Cela fait quinze ans que j'habite dans ce quartier_", pose le jeune homme, montre au poignet, chemise bleue cintrée et débit saccadé.


"_J'ai déménagé ici quand j'étais ado. Au début, j'aidais mon père artisan pendant les vacances_." Après un bac ES et un BTS dans le bâtiment, il suit quelques cours


d'immobilier à Nice. Puis dépose des CV un peu partout. Avec l'espoir d'obtenir des réponses concrètes. > __ > _À chaque fois, on me renvoyait mon adresse", 


soupire-t-il._ Pire_: "Souvent, je passais la première étape et j'avais un rendez-vous. On me demandait: «Et dans ton quartier, ça se passe comment?» Alors du coup, venir de


l'Ariane, ça me donne une motivation supplémen_taire". Sami n'est pas du genre à relativiser la dureté du quartier. La délinquance, les faits-divers, la drogue ou le chômage.


"_Quand je vois des gamins assis en bas des immeubles toute la journée, je me dis que c'est un échec de la France et de la République_." Mais il regrette surtout qu'on se


focalise sur cette minorité pour en déduire la réputation d'un quartier tout entier: > _"À l'Ariane, plein de gens en veulent", glisse-t-il. > _ Sauf que dans les


campagnes rurales comme dans les quartiers chauds, la majorité silencieuse subit la loi d'une minorité dont on retient les frasques et les délits. Les journalistes ont d'ailleurs


leur responsabilité dans l'histoire, selon Sami: "_Il faut qu'ils arrêtent de donner une image misérabiliste du quartier. Ici, on ne veut pas des aides sociales, on veut du


travail_", jure-t-il. Ce n'est pas tant le compte-rendu de la chronique judiciaire qui l'épuise mais plutôt les reportages empathiques qui font passer ces gens pour des


victimes qui veulent le rester. Comme s'il n'y avait aucun avenir au-delà des politiques de la ville. Comme si, comme l'ont voulu les politiques, la solution devait passer par


une promotion de la "diversité", sur le modèle de "l'affirmative action" mis en place aux Etats-Unis dans les années 60 pour favoriser les populations noires. IL A


TOUJOURS RÊVÉ DE CRÉER SON ENTREPRISE Après avoir bossé chez Vinci puis dans un bureau d'études, Sami se retrouve sans emploi il y a trois ans. Il décide de se lancer.


"_C'était le moment ou jamais_. _Mon livre de chevet, c'est la biographie de Steve Jobs. Certains sont fans de foot, moi j'aime l'__entrepreneuriat_". Il part


de rien, ou presque. C'est d'ailleurs ce qui le motive. Mais revendique de bosser deux fois plus pour réussir. Une loi de février 2005 impose une mise aux normes handicapés pour


tous les bâtiments publics: c'est trouvé, son entreprise réalisera les travaux d'accessibilité pour handicapés. Il commence alors à démarcher, propose des travaux, fait du


porte-à-porte. C'est la galère. Une aide de l'ADIE, une association qui propose du microcrédit et le guide pour monter son business plan, permet de lancer enfin la machine.


Aujourd'hui, il a deux salariés, dont un maçon pour les travaux et un aide-maçon âgé à l'époque de 23 ans: "_J'ai souhaité prendre un jeune de l'Ariane_",


souligne-t-il. Alors faut-il embaucher en priorité ceux de son quartier? Et favoriser, par des dispositifs spécifiques, l'accès aux études ou à l'emploi pour les jeunes de


quartier? > __ > _"Je refuse le terme de discrimination positive", plante Sami. _ "_Lorsque tu as envie de réussir, peu importent tes origines et d'où tu viens, tu


peux réussir. Même si c'est plus dur pour nous que pour d'autres. Ce qu'on reproche aux jeunes de l'Ariane, c'est de ne pas avoir les codes de la vie. Alors


j'ai voulu prendre un jeune pour transmettre_." "NE PAS OUBLIER D'OÙ ON VIENT POUR SAVOIR OÙ TU VAS ALLER" Il préfère la "méritocratie" à la


discrimination, pour l'avoir lui-même vécu. "_Ne pas oublier d'où on vient pour savoir où tu vas aller_", répète-t-il. Désormais il vit de cette entreprise, récolte les


fruits de plusieurs mois difficiles. Et a même terminé deuxième au "Prix Talent des Cités" en 2014 ("_avec les félicitations du jury!_") qui récompense les créateurs


d'entreprise innovantes et originales. "_En travaillant dans le secteur du handicap, j'ai rencontré beaucoup de personnes en fragilité sociale_", prolonge-t-il. "_Et


comme je viens d'un quartier populaire, je suis attaché à l'humain_." Depuis juin, il s'attache à la création d'une deuxième entreprise: "Butterfly". Du


service à la personne, spécialisé dans la livraison de linge. Mais il y aura aussi du bricolage, du ménage... Il recommence la prospection. Veut faire bosser les filles de l'Ariane...


"_Je veux une entreprise locale mais développer, pourquoi pas, une franchise au niveau du département_." Son ambition, c'est aussi de péréniser et d'étoffer


l'association "Nice Ariane Développement" qu'il a co-fondé avec Alain Meinardi, 65 ans, ex directeur de Lapeyre à l'Ariane, et à laquelle une vingtaine


d'entreprises dont certains grands groupes participent activement: "_Alain Meinardi était le premier à s'implanter dans le quartier dans les années 90. Certains l'ont


beaucoup découragé en expliquant qu'il ne ferait rien de bon à l'Ariane. Au final, il a fait travailler beaucoup de gens à l'Ariane_". Entre temps, le chômage a continué


d'exploser et le travail manque. Version pessimiste: ça ne va pas s'améliorer, sauf si l'on change un système économique où les ouvriers et salariés français souffrent de la


concurrence internationale. Version optimiste, résumée par Sami Raouafi: "_Pourquoi on veut tous créer notre entreprise ici? À cause des discriminations. Les gens se disent: «Vous ne


voulez pas de moi? Et bien c'est moi qui vais créer mon propre travail...»_"