Sous la pression de Trump, l'Ukraine accepte la proposition russe de pourparlers directs
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Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a accepté, dimanche 11 mai, la proposition du Kremlin d’organiser des « pourparlers de paix » directs entre la Russie et l’Ukraine, sous l’égide
de la Turquie. Trump a annoncé son intention d’y participer. Il s’agirait des premières négociations directes depuis l’échec des pourparlers d’Istanbul en 2022.
Cette nouvelle séquence s’inscrit dans un contexte diplomatique particulièrement dense. Le 8 mai dernier, Trump avait menacé d’imposer des sanctions supplémentaires à la Russie si un
cessez-le-feu inconditionnel de 30 jours n’entrait pas en vigueur. Une proposition reprise en chœur par les puissances impérialistes européennes lors du sommet organisé à Kiev ce week-end,
qui craignent que Trump ne mette à exécution sa menace, constamment agitée depuis la mi-avril, de quitter les négociations et de mettre fin au soutien étasunien à l’Ukraine.
Vladimir Poutine a aussitôt refusé la proposition tout en indiquant qu’il était disposé à reprendre les discussions abandonnées en 2022. Dans un message publié sur son réseau Truth Social,
Trump a enjoint l’Ukraine à accepter cette nouvelle proposition : « Poutine ne veut pas d’un accord de cessez-le-feu avec l’Ukraine, mais plutôt une rencontre, jeudi, en Turquie, pour
négocier une possible fin au bain de sang. L’Ukraine devrait accepter immédiatement. Cela leur permettra au moins de déterminer si un accord est possible et, s’il ne l’est pas, les
dirigeants européens et les États-Unis sauront à quoi s’en tenir et pourront agir en conséquence ». D’après une source diplomatique, les puissances européennes ont également conseillé à
Zelensky de se plier à la demande de Trump, dans une sorte de « jeu tactique où chacun veut montrer aux Américains qu’il n’est pas un obstacle à la paix ».
Cependant, il est peu probable que ces négociations aboutissent. Tandis que l’Ukraine et les puissances impérialistes européennes conditionnent les négociations à une trêve préalable,
Poutine veut négocier sous le feu et indique que les combats ne s’arrêteront que lorsqu’un accord sera trouvé. En effet, comme le note Fiodor Loukianov, le rédacteur en chef d’une revue
proche de Poutine, la Russie dispose de l’ascendant sur le terrain tandis que le temps joue en sa faveur : « La position du Kremlin n’a pas changé : pas de cessez-le-feu sans accord de paix
plus général. Poutine n’abandonnera pas cet argument lors des négociations, d’autant plus que la dynamique militaire est du côté russe. Les activités militaires cesseront une fois l’accord
de paix conclu ».
La progression de l’armée russe se poursuit, notamment dans la région de Pokrovsk, où, selon le ministère de la Défense russe, l’armée a pris le contrôle du village de Kotliarivka. En
parallèle, les combats se poursuivent à Tchassiv Yar, où une unité d’élite du FSB a été déployée en soutien à la 98e division parachutiste de l’armée russe.
Alors qu’il conserve l’avantage sur le terrain, le Kremlin maintient inchangées ses conditions depuis le 11 avril, date d’une réunion entre Dimitri Peskov et Steven Witkoff. D’après le
Financial Times, « Poutine [y avait] indiqué que la Russie pourrait geler l’invasion sur les lignes de front actuelles et renoncer à demander la reconnaissance officielle des quatre régions
unilatéralement annexées en 2024 ». Cette petite concession faite à Trump constitue une modification mineure des conditions russes, établies en juin 2024 : l’annexion de tous les territoires
occupés par l’armée russe, des garanties contre l’intégration de l’Ukraine à l’OTAN, la démilitarisation du pays et la reconnaissance officielle de l’ensemble des territoires annexés. Du
point de vue de l’Ukraine et des puissances impérialistes européennes, les négociations ne peuvent commencer sans un cessez-le-feu préalable et elles continuent de faire du respect de
l’intégrité territoriale de l’Ukraine une ligne rouge.
Alors que Trump tente de mettre fin à la guerre pour concentrer les forces de l’impérialisme étasunien dans le conflit avec la Chine et, si l’opportunité se présente, de desserrer les liens
de la Russie avec Pékin, il a proposé son propre plan de paix. Le 17 avril, les États-Unis ont indiqué qu’ils étaient disposés à reconnaître officiellement le contrôle russe de la Crimée et,
de manière non officielle, la possession des quatre régions annexées en 2024, tout en réduisant la voilure des sanctions. L’Ukraine, dont l’adhésion à l’OTAN est exclue, pourrait conserver
son armée, dont le développement serait supervisé par l’Union européenne. Quant au marché de la reconstruction, il serait confié, conformément aux plans établis par l’Union européenne et
l’impérialisme étasunien, à de grandes multinationales auxquelles l’Ukraine serait contrainte d’ouvrir totalement ses frontières.
Mais, au-delà de sa proposition de paix, qui vise à convaincre la Russie de négocier un cessez-le-feu, Trump espère plus que tout mettre fin aux combats, afin de limiter la surextension des
forces étasuniennes et de satisfaire son image de « faiseur de paix », alors qu’il promettait à ses électeurs de mettre fin à la guerre en vingt-quatre heures.
Pour imposer son plan à Zelensky, qui lui résiste, et aux Européens, qui craignent d’assumer seuls le coût de l’effort de guerre, Trump dispose d’un moyen de pression considérable : s’il
décidait de se retirer des négociations, la situation militaire de l’armée ukrainienne se dégraderait rapidement, tandis que les impérialismes européens devraient accélérer leur
militarisation pour compenser la perte de l’assistance étasunienne.
Comme le souligne Stratfor, « au minimum, la fin de la médiation étasunienne ramènerait la situation au statu quo ante qui prévalait avant que Trump ne revienne à la Maison-Blanche, lorsque
la Russie accumulait des gains néanmoins significatifs sur le champ de bataille. Toutefois, la fin de la médiation étasunienne, voire même une diminution du soutien à l’Ukraine, pourrait
grandement affaiblir ses chances de tenir sur le champ de bataille. Si les États européens pouvaient initialement augmenter leur soutien militaire et financier et partager des
renseignements, ils pourraient rapidement rencontrer des difficultés pour maintenir seuls un niveau d’aide élevé au-delà de quelques mois, sur fond de divisions persistantes au sein de
l’Europe et du possible changement de position de plusieurs gouvernements, comme la Hongrie ou la Slovaquie ».
Ces menaces lui ont déjà permis d’obtenir un certain nombre de concessions, comme la signature de l’accord sur les minerais critiques, signé le 30 avril, sous une forme modifiée, par
l’Ukraine et les États-Unis. Toutefois, les diplomates européens craignent que cela ne soit pas suffisant et que Trump cherche à tirer prétexte de l’enlisement des discussions pour accepter
un accord bâclé, pour tenir ses promesses de « dealmaker ». Un accord qui ne résoudrait pas le conflit et imposerait aux Européens de gérer, à plus ou moins long terme, ses potentielles
rechutes.
Certains diplomates développent des scénarios plus sombres, comme le soulignait le 28 avril, le Financial Times : « Un diplomate européen nous confiait que Trump était “en train de créer une
situation dans laquelle il puisse trouver une excuse pour se retirer, en abandonnant l’Ukraine et en nous laissant gérer la situation ». D’autre part, au regard de son imprévisibilité, il
n’est également pas impensable que Trump décide de mettre ses menaces à exécution et de renforcer les sanctions contre la Russie pour la convaincre de se rallier à ses conditions, comme à la
fin du mois de mars, où il avait évoqué des sanctions contre le secteur pétrolier.
Quelle que soit l’issue des discussions qui seront menées cette semaine, la guerre en Ukraine se finira comme elle a commencé : de manière ultra-réactionnaire. Tout d’abord, pour les peuples
russe et ukrainien, mobilisés de force dans une boucherie de masse, instrumentalisée par les impérialistes européens et les États-Unis pour avancer leurs intérêts. Plus largement, pour les
travailleurs et les classes populaires du continent : que le conflit prenne fin après la signature d’un accord fragile, qui pourrait se rompre à tout moment, ou qu’il continue, avec ou sans
la participation étasunienne, les puissances européennes tireront en effet prétexte de la situation pour accélérer la course à la militarisation. Une dynamique extrêmement inquiétante, alors
que les périodes de réarmement en Europe se sont systématiquement conclues sur des catastrophes régionales ou mondiales.