La traduction a survécu à l’ia. D’autres métiers qui semblent menacés par chatgpt survivront aussi
- Select a language for the TTS:
- French Female
- French Male
- French Canadian Female
- French Canadian Male
- Language selected: (auto detect) - FR

Play all audios:

C’est peut-être une de vos fiertés. D’une idée qui prend forme dans vos neurones, vous avez le talent de la transformer en une phrase complète, bien tournée, dans un français impeccable. Si
votre plume vous permet de gagner votre vie, en tout ou en partie, il est possible que vous ayez éprouvé une certaine angoisse la première fois que vous avez utilisé ChatGPT. Les
traductrices et les traducteurs connaissent bien ce sentiment. Depuis 2016, leur travail a été bouleversé par des systèmes de traduction automatique neuronale (basés sur des réseaux de
neurones). Google Translate, Microsoft Translator ou DeepL sont aussi redoutables en traduction que ChatGPT peut l’être en rédaction. En tant que professeurs spécialisés dans des disciplines
différentes, nous avons travaillé ensemble sur des projets qui combinent traduction et journalisme. Comme chercheurs pour qui la langue est une matière première et qui utilisent tous deux
des méthodes computationnelles, la popularisation des systèmes de rédaction automatisée comme ChatGPT nous a interpellés. UN SECTEUR EN CROISSANCE Penchons-nous d’abord sur les craintes que
ces systèmes suscitent. Selon plusieurs experts, dont Ali Zarifhonarvar, doctorant en économie de l’Université de l’Indiana, les systèmes de rédaction automatisée sont des technologies à
faible main-d’œuvre (_labour-saving technologies_) qui risquent de causer des pertes d’emploi en informatique, en communication, en droit et en éducation. Pourtant, depuis l’arrivée de
l’intelligence artificielle en traduction il y a une demi-douzaine d’années, le marché de l’emploi ne s’est pas tari. Il continue même de bénéficier de perspectives favorables selon Emploi
Québec. Les données de Statistique Canada sur la population active ayant travaillé toute l’année à temps plein et ayant déclaré un revenu d’emploi l’année précédente montrent que le nombre
de traducteurs/traductrices, terminologues et interprètes est passé de 6 270 en 2016) à 7 400 en 2021). C’est une hausse de 18 % sur cinq ans, plus importante que l’augmentation du total
pour toutes les professions, qui a crû de 6,1 % seulement au cours de la même période. Ces données mettent en évidence que la catastrophe futuriste est restée une fiction. Non, la profession
n’a pas été balayée par les robots. Ses effectifs ont même augmenté ! L’un des plus vieux métiers du monde a cependant dû s’adapter à l’intelligence artificielle. NOUVEAU DÉFI, NOUVEAU
CRÉNEAU Même si la traduction neuronale est désormais bien rodée, le sens de nombreux textes n’en demeure pas moins encore impénétrable pour les machines. C’est ainsi qu’a émergé depuis 2016
un nouveau métier qui consiste à réviser les traductions automatiques. Cette opération s’appelle la _post-édition_, expression qui nous vient de l’acception anglaise d’édition. La révision
par un être humain fait même partie des normes de qualité de la traduction, ainsi que celles qui régissent l’évaluation des systèmes automatiques. Nous avons constaté à quel point
l’intervention humaine demeurait cruciale dans une étude que nous avons réalisée ensemble sur l’automatisation de la traduction dans la plus grande agence de presse au pays. En 2018, La
Presse canadienne a mis au point Ultrad, un système maison de traduction basé sur Google Translate. Les journalistes de l’agence peuvent s’en servir pour traduire les dépêches de leurs
collègues anglophones ou de l’Associated Press. Le tableau ci-dessous présente quelques-unes des erreurs commises par le système et les corrections effectuées grâce à la vigilance des
journalistes. SOURCE (ANGLAIS) TRADUCTION AUTOMATIQUE (ULTRAD) POST-ÉDITION (HUMAIN) Steven Guilbeault will table a new GREENHOUSE GAS EMISSIONS PLAN in Parliament this morning. Steven
Guilbeault déposera ce matin au Parlement un nouveau PLAN D'ÉMISSIONS DE GAZ À EFFET DE SERRE. Steven Guilbeault déposera mardi matin au Parlement un nouveau PLAN _DE RÉDUCTION_ DES
ÉMISSIONS DE GAZ À EFFET DE SERRE. LICH was arrested Feb. 17 and INITIALLY DENIED BAIL LICH a été ARRÊTÉ le 17 février et A D'ABORD REFUSÉ LA MISE EN LIBERTÉ SOUS CAUTION MME LICH avait
été ARRÊTÉE le 17 février, à Ottawa. SA DEMANDE DE REMISE EN LIBERTÉ SOUS CAUTION AVAIT D'ABORD ÉTÉ REJETÉE THE PROVINCE says the more than $5-billion investment LA PROVINCE affirme
que l'investissement de plus de 5 milliards de dollars LE GOUVERNEMENT ONTARIEN affirme que l'investissement de plus de 5 milliards $ Dans la première, le système ne savait pas que
la réduction des émissions, sous-entendue en anglais, devait être précisée en français. Dans la deuxième, il a masculinisé l’une des dirigeantes du mouvement des camionneurs qui ont occupé
le centre-ville d’Ottawa, en 2022. Il a aussi compris qu’elle avait refusé sa propre mise en liberté, alors que celle-ci avait en fait été rejetée par un tribunal. Dans la troisième, il n’a
pas tenu compte que l’emploi de _province_ au sens figuré pour référer à un gouvernement est admis en anglais, mais pas en français. Certaines erreurs ont toutefois échappé à l’attention des
humains. Le mot _section_, qui désigne en anglais un article dans une loi, a erronément été traduit par « section » dans un texte sur le projet de loi C-11 qui a été publié dans différents
articles en mars 2022. GARE À L’OBJECTIVITÉ MÉCANIQUE Alors que les traducteurs devaient auparavant commencer par un texte dans la langue source, la traduction automatique leur propose une
première version en apparence complète et bien tournée. Cette amorce a toutes les apparences d’un travail bien fait et y céder induit ce qu’on appelle l’« effet d’amorçage » (_priming
effect_). Cet effet peut de surcroît être renforcé par l’objectivité mécanique. De tout temps, les scientifiques ont cherché à écarter la subjectivité humaine dans leurs travaux. L’emploi
d’appareils de mesure est donc associé à l’objectivité, la neutralité. Une certaine autorité épistémique accompagne leur utilisation, autorité qui est également conférée aux systèmes basés
sur l’intelligence artificielle. Les traductrices et les traducteurs connaissent bien ces phénomènes et ont appris à s’en méfier. Sous la surface polie des textes fabriqués par les systèmes
de traduction automatique et des robots conversationnels comme ChatGPT se cachent subrepticement des erreurs de différentes natures que l’effet d’amorçage dissimule aux lecteurs peu
attentifs. Le travail en post-édition a habitué les professionnels de la traduction à les reconnaître, comme l’explique Thierry Grass, traducteur et professeur de traduction, dans son
article « L’erreur n’est pas humaine ». Il nous dit notamment que les systèmes de traduction automatisée produisent des textes en apparence parfaits sur le plan de la forme, mais qui peuvent
contenir des failles sur le plan du fond, du contenu, de la logique. Les professionnels de la traduction ont en quelque sorte été des éclaireurs qui peuvent nous apprendre à composer avec
les systèmes de rédaction automatisée comme ChatGPT. Et c’est ainsi qu’ils et elles ont pavé la voie à un usage critique des systèmes de rédaction automatisée et à une meilleure
compréhension de leurs limites : raisonnements fallacieux, équivoques, raccourcis, ellipses, idées reçues, autant de nouvelles rubriques pour le classique de Normand Baillargeon, _Petit
cours d’autodéfense intellectuelle_.