Les forêts tropicales, des « puits de carbone » hautement vulnérables
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Les forêts tropicales jouent un rôle important dans la régulation du climat à l’échelle mondiale en constituant des « puits de carbone » : elles absorbent, via la photosynthèse, le CO2 de
l’atmosphère et le conserve sous forme de biomasse (le bois). Elles stockent aujourd’hui environ 40 % du carbone terrestre (incluant biomasse végétale et sol), tandis que la déforestation
tropicale contribue à hauteur de 15 % environ aux émissions de CO2 dans l’atmosphère. Le récent Accord de Paris, adopté lors de la COP21 en décembre 2015, a inclus la conservation des forêts
tropicales comme un moyen de lutte contre les changements climatiques, à travers notamment le programme REDD+. UNE GRANDE VULNÉRABILITÉ Si l’on parle régulièrement de la déforestation
tropicale et de ses conséquences sur la biodiversité et les émissions de CO2, la question de la vulnérabilité des forêts tropicales face aux changements climatiques – et du maintien de leur
capacité à stocker du carbone – est moins souvent abordée. Les chercheurs qui s’y intéressent étudient ces phénomènes à l’aide de modèles climatiques couplés à des modèles de dynamique de
végétation, appelés « modèles du système terre ». Ce sont ces modèles qu’utilise le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) pour prédire l’évolution du climat
suivant différents scénarios d’émissions et de concentration de CO2 dans l’atmosphère. Concernant l’effet du changement climatique sur la végétation, deux points sont à considérer :
l’augmentation de CO2 dans l’atmosphère et la modification du climat (température et précipitations). Les modèles du système terre s’appuient sur des processus écophysiologiques qui
considèrent qu’une augmentation de CO2 dans l’atmosphère augmente l’efficacité de la photosynthèse et la fixation du carbone : on parle d’« effet de fertilisation du CO2 ». La plupart des
modèles du système terre estiment que cet effet de fertilisation du CO2 compense la baisse de croissance des plantes provoquée par l’augmentation moyenne des températures associée aux
changements climatiques. Certaines études récentes ont ainsi montré que les forêts tropicales devraient être en mesure de résister aux changements climatiques – on parle de « résilience des
forêts tropicales » – et qu’elles continueraient ainsi à exercer leur rôle de puits de carbone au moins jusqu’à l’horizon 2100. UN EFFET DE FERTILISATION DU CO2 DISCUTABLE Si l’hypothèse
d’une fertilisation du CO2 est forte pour rendre compte de la résilience des forêts tropicales, elle est néanmoins discutable en conditions naturelles. L’effet de fertilisation du CO2 a bien
été démontré sur le court terme, dans le cadre de dispositifs expérimentaux installés dans des plantations ou des forêts naturelles en milieu tempéré, mais aucune observation d’une
augmentation des stocks de carbone suite à un enrichissement de l’atmosphère en CO2 n’a encore été réalisée en forêt tropicale. Un premier dispositif expérimental a toutefois été mis en
place en 2013 près de Manaus en Amazonie. Cet effet de fertilisation est discutable principalement pour trois raisons. Premièrement, une croissance plus rapide sous l’effet de l’augmentation
du CO2 peut conduire à une surmortalité des arbres, mourant plus jeunes. Sur le long terme, on n’observerait donc pas d’augmentation des stocks de carbone à l’échelle de l’écosystème
forestier. Il se peut, deuxièmement, que le CO2 ne soit pas le facteur-limitant de la croissance des arbres en forêt tropicale. D’autres éléments, comme l’eau et les nutriments du sol
(notamment l’azote et le phosphore), sont essentiels à la photosynthèse. S’ils ne se trouvent pas en quantité suffisante, une augmentation de CO2 n’aura pas d’impact sur la croissance des
arbres. Troisièmement, et c’est le point le plus important, la niche des espèces d’arbres – qui détermine les conditions dans lesquelles l’espèce peut survivre – ne se réduit pas aux
facteurs leur permettant de photosynthétiser et fixer du carbone. Il faut aussi que l’espèce puisse résister au stress climatique (épisodes de sécheresse, réduction de la saison de
végétation), se défendre (des attaques d’insectes par exemple) et se reproduire (floraison et fructification synchronisées à la présence d’animaux/insectes pollinisateurs des fleurs ou
disperseurs des graines). Autant d’éléments qui peuvent être fortement modifiés par les changements climatiques. Certains résultats récents remettent ainsi en cause cet effet de
fertilisation ainsi que la possibilité de résilience. Une étude de grande ampleur menée sur les trois continents situés en zone tropicale (Bolivie, Cameroun et Thaïlande), a montré une
absence d’accélération de la croissance des arbres suite à l’augmentation de CO2 dans l’atmosphère pour la période allant de 1850 à nos jours. On a également observé une diminution de la
capacité de la forêt tropicale amazonienne à stocker du carbone depuis les années 1980. Enfin, des phénomènes de mortalité en masse des arbres sont actuellement observés à divers endroits du
globe. Cette mortalité peut être associée soit à des épisodes de sécheresse conduisant à des phénomènes de cavitation (embolie gazeuse empêchant la sève de circuler dans l’arbre) ou à des
attaques d’insectes ravageurs dont les populations explosent sous l’effet de l’augmentation des températures (voir à ce propos le cas du bostryche typographe qui menace les peuplements
d’épicéa dans les forêts de montagne de moyenne altitude en France). DIMINUTION DU CARBONE FORESTIER Sans l’effet de fertilisation du CO2, les modèles du système terre prédisent une large
diminution du stock de carbone des végétaux en zone tropicale. Une récente étude sur les forêts tropicales de Madagascar montre également que les stocks de carbone forestiers devraient
diminuer sous l’effet du changement climatique. Cette étude ne fait pas l’hypothèse d’un effet de fertilisation du CO2 et s’appuie sur des modèles appelés « modèles d’enveloppe bioclimatique
». Ces derniers sont plus simples que les modèles du système terre et s’appuient sur des hypothèses plus écologiques qu’écophysiologiques pour expliquer l’évolution du stock de carbone en
forêt tropicale en lien avec les changements climatiques. Ainsi, la diminution de la durée de la saison de végétation, l’augmentation de la température moyenne annuelle (+3,7 °C) et la
diminution des précipitations annuelles (-107 mm) pourraient conduire à une diminution de 17 % (certaines prédictions allant jusqu’à – 24 %) du stock de carbone forestier d’ici à 2080. En
forêt, les arbres et les espèces de plus petite taille seraient favorisés et sélectionnés sous l’effet du climat. L’étude identifie également des points de basculement : au-dessus d’une
température moyenne annuelle de 21 °C et en dessous de 1 100 mm de précipitations par an, le stock de carbone des forêts tropicales humides pourrait s’effondrer. LE RISQUE D’EMBALLEMENT DES
ÉMISSIONS Concernant la déforestation engendrée par les activités humaines à Madagascar (l’agriculture sur brûlis, l’élevage, l’utilisation du bois énergie, l’exploitation minière ou
l’exploitation illégale de bois principalement), elle conduirait à une perte d’environ 30 % du stock de carbone forestier sur la même période. En comparaison, l’effet des changements
climatiques n’est donc pas négligeable. À terme, on pourrait observer un emballement du phénomène : au lieu de stocker du carbone, les forêts seraient émettrices de CO2 et contribueraient à
l’accélération du changement climatique qui aurait un effet encore plus fort sur les forêts. Dans un monde toujours plus chaud et plus sec, il y a un risque que les forêts tropicales humides
que nous connaissons aujourd’hui ressemblent davantage à des savanes arborées qu’à des forêts impénétrables où arbres, mousses et fougères s’épanouissent dans un nuage de brume. Il ne
s’agit donc plus seulement de réussir à conserver les forêts et à augmenter leur surface à l’échelle planétaire pour espérer contenir le changement climatique en augmentant les puits de
carbone. Il devient également essentiel de limiter rapidement le changement climatique en réduisant les émissions de CO2 à la source. Cela passe par un ensemble de mesures, comme la
diminution de l’usage des énergies fossiles, le développement des énergies renouvelables, la diminution de la consommation et la mise en application rapide des décisions adoptées lors de
l’Accord de Paris.