Face à la désertification industrielle : investir dans l’avenir


Face à la désertification industrielle : investir dans l’avenir

Play all audios:


NoteFace à la désertification industrielle : investir dans l’avenir


L’essor de l’industrie allemande au cours des années 2000 est un contre-exemple remarquable de la désindustrialisation à l’œuvre en France et en Europe. Il convient toutefois d’en mesurer le


prix : dans un article paru le 31 mars dernier dans La Revue Parlementaire, Olivier Ferrand montre que la politique allemande, fondée sur une logique de compétitivité-prix, n’a pas été


source de croissance, et a fait baisser le pouvoir d’achat des Allemands. Or si la France doit suivre l’exemple allemand, c’est celui de la compétitivité-qualité, en investissant dans la


hausse de la valeur de la production, et donc dans l’économie de la connaissance : opter pour une stratégie de qualité, en sortant de la logique du low cost.

Par Olivier FerrandFondateur


de Terra NovaPublié le 9 avril 2011twitterlinkedinfacebookemailSynthèse


La France est-elle sur le point de devenir un désert industriel ? L’évolution de notre industrie cette dernière décennie est particulièrement inquiétante.


Les statistiques réunies à l’occasion des Etats généraux de l’industrie sont sans appel. Un chiffre clé : la part de l’industrie manufacturière dans la valeur ajoutée marchande a reculé de


22% en 1998 à 16% en 2009. La zone euro subit un déclin similaire, mais à un rythme moins rapide : la part de l’industrie n’a reculé que de trois points, de 25% à 22%.   Les conséquences


sont majeures. L’industrie représente 80% des échanges extérieurs, ce qui explique l’effondrement de la balance commerciale française de +25 milliards d’euros en 1997 à –50 milliards


aujourd’hui, soit un déficit commercial de 2.5 points de PIB.   Surtout, beaucoup d’emplois ont été détruits. La part de l’industrie dans la population active est passée de 16 % en 2000 à 13


 % en 2008, soit une diminution de 500 000 emplois. Dans ce contexte industriel déprimé, la crise économique a eu des effets ravageurs : plus  de 400 000 emplois supprimés depuis début 2008,


soit une baisse de près de 15% des effectifs, pourtant déjà fortement comprimés au cours des années précédentes.   La désindustrialisation de la France et de l’Europe est-elle une fatalité


face à l’émergence du monde asiatique ? La situation outre-Rhin montre que non : l’Allemagne a connu un essor remarquable sur la période, son industrie passant de 25% à 30% de la valeur


ajoutée, avec une augmentation de l’emploi industriel et la restauration spectaculaire de son commerce extérieur, qui avait plongé dans le rouge au début des années 2000 et qui se retrouve


aujourd’hui excédentaire à +250 milliards d’euros, soit le niveau exceptionnel de 8% du PIB.   Comment les Allemands ont-ils pu accumuler de tels succès industriels ? Ils ont mené depuis


douze ans, sous les gouvernements de Gerhard Schröder puis d’Angela Merkel, une politique extrême et continue de baisse des coûts de production, dans une logique de compétitivité-prix : gel


des salaires nominaux pendant sept ans, baisse des charges sociales (et suppression corrélative des prestations sociales de l’Etat-providence), transfert de charges sociales sur trois points


de « TVA sociale » (ce qui est l’équivalent d’une dévaluation compétitive en taux de change fixe).   Dans ces conditions, faut-il répliquer en France la politique Schröder-Merkel de


compétitivité-prix ? Ce serait une erreur : cette politique n’est ni efficace, ni juste, ni soutenable.   La politique Schröder-Merkel a certes restauré les échanges extérieurs allemands –


et à quel niveau, on vient de le dire, au point d’être la principale source avec la Chine des « déséquilibres globaux » soulignés par les institutions internationales, G20 et FMI en tête.


Mais le mercantilisme ne fait pas une politique économique. L’objectif de toute politique économique, c’est la croissance. Or sur ce point, les résultats allemands sont tout simplement


mauvais, avec une croissance en berne sur la période : elle est de 0,8% en moyenne sur les années 2000–2009 contre 1,5% pour la France. L’Allemagne ne s’est quasiment pas développée s


ur la période. Et deux fois moins que la France : 7 années sur 10, la croissance allemande a été inférieure à la croissance française. L’explication est simple : l’amélioration des


exportations a été gagée sur la dégradation de la demande interne, du fait de la rigueur salariale et de la suppression de prestations sociales, avec un effet nul sur la croissance globale –


la baisse de la croissance interne a annulé la hausse de la croissance externe.   Voir le tableau sur la note version PDF, p. 2.   Certes, l’Allemagne a connu une forte poussée de


croissance en 2010 : +3.6%. Mais il s’agit d’un rebond conjoncturel qui vient compenser la violente récession subie par l’Allemagne en 2009 (-5 %) – récession dont l’ampleur très supérieure


à la France s’explique par l’exposition de l’industrie allemande à la mondialisation, la rendant plus vulnérable à la chute du commerce international de 2009 suite à la crise financière.  


La politique économique allemande n’est pas efficace, elle pose aussi un problème politique majeur. Elle revient à dire aux Allemands : « nous avons une bonne idée pour vous, nous allons


vous appauvrir, et lorsque vous serez suffisamment pauvres, vous serez compétitifs dans la mondialisation ». De fait, le pouvoir d’achat des Allemands a baissé sur la période. Le


PIB/habitant allemand était de 15% supérieur à la France à la fin des années 1990, il est inférieur aujourd’hui. Les Allemands étaient plus riches que nous il y a dix ans ; ils sont


aujourd’hui plus pauvres.   Enfin, la politique allemande pose un problème de soutenabilité européenne. Car l’amélioration de la compétitivité allemande ne s’est pas faite par rapport aux


pays émergents : le déficit commercial bilatéral de l’Allemagne par rapport à la Chine continue à se creuser, à –30 milliards d’euros. Les différentiels de coûts sont trop importants


(rapport salarial de l’ordre de 1 à 20, productivité globale des facteurs supérieure de 60% en Chine) et ce n’est pas 3% de TVA sociale qui peuvent inverser la tendance. L’amélioration de la


compétitivité allemande a été gagée sur les pays à structures de coûts similaires, singulièrement la France : plus de 50% de la restauration de la balance commerciale s’explique par la


dégradation bilatérale de la balance commerciale française. Plutôt que d’aller capter une part du grand gâteau de la croissance mondiale aujourd’hui entre les mains de l’Asie, l’Allemagne


vient récupérer les miettes de la croissance européenne à la table de ses voisins.   Au total, cette politique n’est pas la bonne. La France doit pourtant suivre l’exemple allemand : non pas


la stratégie de compétitivité-prix Schröder-Merkel de ces dix dernières années, mais la stratégie de compétitivité-qualité sur laquelle est fondée le modèle allemand. L’Allemagne ne vend


pas à l’étranger des produits à bas coûts : elle vend des produits et services à forte valeur ajoutée – automobiles haut de gamme, machines-outils, produits pharmaceutiques, production


d’énergies renouvelabl


es… D’autres pays suivent cette politique avec succès : les grands pays les plus avancés comme les Etats-Unis (la Californie), le Japon, la Corée mais aussi de « petits » pays comme la


Finlande, la Suède, le Danemark ou le Canada (« petits » pays où, malgré l’absence de masse critique, notamment sur la recherche, émergent des groupes innovants de taille mondiale : Nokia,


Palm Pilot, Blackberry…).   Une telle stratégie nécessite de mettre ses marges de manœuvre et son énergie politique, non pas dans la baisse des coûts de production, mais dans la hausse de la


valeur de la production, la montée en gamme. Cela nécessite d’investir dans l’économie de la connaissance : enseignement supérieur, recherche, innovation industrielle (dans les secteurs de


croissance : énergies décarbonées, mobilité du futur, ville de demain, biotechnologies et sciences du vivant, société numérique …).   Les sommes à mobiliser sont très importantes. Pour


l’enseignement supérieur, seulement 40% d’une classe d’âge sort diplômée du secondaire en France, contre plus de 60% pour les pays les plus avancés : nous mettre à niveau nécessite de faire


passer notre effort éducatif dans le supérieur de 1.5% à 3% du PIB, soit 1.5 point par an. De même, il faudrait hisser notre effort de recherche de 2% du PIB actuellement à 3%, standard


international de référence, soit un autre point de PIB. Le déficit en investissements industriels innovants se chiffre à au moins 20 milliards d’euros par an, soit un point de PIB là encore.


Au total, c’est donc un effort d’investissement dans l’avenir de près de 70 milliards d’euros par an (3.5 points de PIB) qu’il faut générer.   Comment faire ? La commission Juppé-Rocard sur


les investissements d’avenir (le « grand emprunt ») a montré la voie. Elle a abouti à un programme d’investissement de 35 milliards, mais sur une seule fois. Or le sous-investissement de la


France est chronique. C’est pourquoi Terra Nova propose un programme d’investissement annuel – un « grand emprunt par an », de l’ordre de un à deux points de PIB, inscrit dans un programme


budgétaire spécifique, qui ne soit pas soumis aux arbitrages budgétaires annuels. Naturellement, l’essentiel de l’effort d’investissement doit être fait par les entreprises. Elles


investissent peu car le taux de profitabilité est médiocre. Une solution serait, par exemple, de baisser le taux d’impôt sur les sociétés pour les bénéfices réinvestis.   Stratégie de


compétitivité prix ou stratégie de compétitivité-qualité : voilà le choix central que doit faire la France. Le diagnostic est le même : l’industrie française décline, les salaires


industriels ne sont pas compétitifs dans la mondialisation eu égard à leur productivité. Mais les réponses sont opposées : baisser les salaires ou augmenter la productivité, c’est-à-dire la


qualification. Stratégie low cost contre stratégie de qualité. Deux politiques industrielles opposées. Deux visions de l’avenir différentes.


Lire aussiCannabis : la légalisation serait bénéfique aux finances publiques, selon Terra Nova« Pourquoi Terra Nova veut légaliser le cannabis » par Michel HenryUne étude de Terra Nova


relance le débat sur la légalisation du cannabis