L’enfance : un investissement d’avenir | terra nova


L’enfance : un investissement d’avenir | terra nova

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Le prix Nobel d’économie James Heckman a développé cette approche en comparant le rendement socio-économique des investissements publics aux différents niveaux du système d’accueil, de la


petite enfance jusqu’à l’enseignement supérieur. Résumée dans la célèbre « courbe de Heckman », cette analyse indique que l’investissement éducatif le plus profitable pour la puissance


publique est celui qui concerne les premières années de l’enfant. Ce rendement décroissant des investissements éducatifs publics est en outre d’autant plus marqué que les enfants concernés


sont d’origine défavorisée : 3 – L’OFFRE D’ACCUEIL DU JEUNE ENFANT EN FRANCE EST ABONDANTE, MAIS ENCORE PEU ORIENTÉE VERS DES OBJECTIFS ÉDUCATIFS ET PEU ACCESSIBLE AUX FAMILLES MODESTES 3. 1


– L’ACCUEIL EN CRÈCHES EST DE FAIT RÉSERVÉ AUX FAMILLES DES CLASSES MOYENNES ET AISÉES, ET RESTE TROP PEU TOURNÉ VERS DES OBJECTIFS ÉDUCATIFS La France compte aujourd’hui plus de 370 000 


places dans ses établissements d’accueil du jeune enfant , soit un taux d’accueil potentiel des enfants de moins de 3 ans supérieur à 15 %. Ce taux est relativement élevé par rapport aux


autres pays de l’OCDE et place la France en pointe pour le développement quantitatif d’une offre d’accueil précoce du jeune enfant. Pour autant, notre système d’établissements d’accueil


souffre de deux carences majeures : 1. Les structures collectives d’accueil du jeune enfant souffrent d’abord d’une très faible ouverture aux enfants des familles les plus pauvres. Selon les


dernières données, seuls 4 % des enfants appartenant aux 20 % de familles les plus pauvres sont accueillis dans une crèche (et 2 % sont accueillis par une assistante maternelle), soit un


taux d’accueil 2,5 fois inférieur à la moyenne nationale. 92 % des enfants de ces familles modestes sont ainsi gardés à domicile par leurs parents . La raison de ce très faible accès aux


crèches n’est pas financière (la participation des familles étant modulée selon leurs revenus) : elle est due avant tout à la concentration des places dans les territoires plus aisés, et à


la prise en compte du critère d’activité (voire de bi-activité) des parents dans les décisions d’attribution de places. Les crèches françaises sont ainsi très peu ouvertes aux enfants qui


pourraient en bénéficier le plus pour leur réussite éducative future. En décembre 2012, à l’occasion de la Conférence nationale contre la pauvreté, le Premier ministre a annoncé un objectif


national d’au moins 10 % d’enfants de familles pauvres en crèche : « A terme, la part de ces enfants dans ces structures devra au moins correspondre à la proportion qu’ils représentent parmi


les enfants du même âge sur le territoire concerné, avec dans tous les cas un minimum de 10 %. Pour atteindre cet objectif, l’Etat favorisera notamment la généralisation de commissions


d’attribution des places en crèches ayant recours à des critères sociaux transparents. » Cette décision constitue un progrès important dans le sens d’un meilleur accès des crèches aux


familles modestes. Mais elle reste insuffisante : un calendrier de mise en œuvre doit encore être adopté, de même qu’une procédure de suivi, et les leviers d’action restent à détailler.


L’atteinte de l’objectif nécessitera en outre l’adhésion et l’engagement des collectivités locales ayant la responsabilité des crèches. A supposer même que l’objectif soit réalisé, il


permettrait seulement d’atteindre dans les crèches la même proportion d’enfants pauvres que dans la population – alors que la logique de l’égalité des chances plaiderait pour une certaine


surreprésentation de ces enfants dans les structures d’accueil collectif. 2. D’autre part, la qualité de l’accueil proposé dans les crèches françaises reste à conforter et son contenu


éducatif pourrait être considérablement développé. En tant que tel, le fait pour un enfant d’être accueilli en crèche est très favorable à son développement futur et à sa réussite à l’école 


; mais la contribution des crèches françaises à la réussite éducative n’a encore jamais été mesurée , et elle reste sans doute limitée dans la mesure où elle n’est pas définie comme un


objectif explicite de ces structures. Promouvoir les chances de réussite des enfants ne fait pas partie des trois buts officiels assignés à la branche Famille de la Sécurité sociale – la


compensation des charges de famille (solidarité horizontale), la réduction de la pauvreté des familles (solidarité verticale) et la conciliation de la vie familiale et professionnelle


(promotion de l’emploi féminin notamment) . Historiquement, les structures d’accueil collectif ont été conçues comme un simple mode de garde, permettant aux deux parents de travailler, et


non comme une première étape du système éducatif. Le souci du développement de l’enfant est bien sûr très présent dans les pratiques des professionnels de la petite enfance. Mais celles-ci


se concentrent sur le respect de normes de sécurité et de santé des enfants accueillis, ainsi que sur leur développement affectif et psycho-moteur : LE DÉVELOPPEMENT LINGUISTIQUE ET COGNITIF


DES ENFANTS RESTE UN VOLET RAREMENT DÉVELOPPÉ dans les projets d’accueil des différents établissements, comme l’a souligné avec force à Grenoble le professeur Michel Zorman . Le processus


d’apprentissage du langage chez le jeune enfant est très peu enseigné dans les cursus de formation des professionnels, et la pratique en crèches d’activités permettant une stimulation


linguistique reste aléatoire. 3. 2 – LA SCOLARISATION AVANT 3 ANS BÉNÉFICIE AUX FAMILLES MODESTES MAIS RESTE UN MODE D’ACCUEIL PEU ADAPTÉ À LA RÉUSSITE ÉDUCATIVE DES TRÈS JEUNES ENFANTS


Conscient des bénéfices d’une prise en charge précoce des enfants de milieu modeste, le ministère de l’Education nationale a relancé à partir de la rentrée 2013 la scolarisation des enfants


de moins de 3 ans en école maternelle. Pour permettre l’ouverture de nouvelles classes, 3 000 places d’enseignants supplémentaires d’ici 2017 ont été annoncées. L’objectif global est


d’atteindre un taux de scolarisation de 30 % dans les secteurs défavorisés. Cette initiative correspond à un retour à une situation antérieure : alors que le taux de scolarisation des


enfants de moins de 3 ans était de 35 % en 2001, il avait chuté entre 2002 et 2012 pour atteindre 12 % en 2012 , même s’il était resté très élevé dans certaines régions (la Bretagne ou le


Nord-Pas-de-Calais, notamment). Les justifications de cette baisse étaient notamment budgétaires, alors même qu’une bonne prise en charge des jeunes enfants représente un excellent


investissement pour la collectivité. La réforme initiée en 2013 poursuit explicitement un but d’égalité des chances, ciblant les familles aux « environnements sociaux défavorisés » . Elle


vise en priorité les zones où les solutions d’accueil du jeune enfant (crèches, assistantes maternelles, etc.) sont les plus faibles. L’exemple le plus frappant est celui de la


Seine-Saint-Denis, où le taux d’accueil des enfants de moins de 3 ans était descendu à 5 % en 2012, sans que les places d’accueil du jeune enfant aient augmenté par ailleurs. Ainsi, les


objectifs de la réforme correspondent clairement à l’orientation prônée dans ce rapport. En revanche, des incertitudes demeurent sur la qualité de l’accueil des moins de 3 ans en école


maternelle : moins bon taux d’encadrement que dans les solutions d’accueil du jeune enfant, trop grande rareté des compétences spécifiques sur la petite enfance au sein des personnels de


l’Education nationale, absence de locaux adaptés, etc. Par ailleurs, le contenu pédagogique de ces premières années d’école fait débat au sein de l’Education nationale. Ne faut-il pas avant


tout éviter la « primarisation » de l’école maternelle, c’est-à-dire la préparation trop précoce, en maternelle, des enseignements de l’école primaire ? Ne faut-il pas craindre une


stigmatisation des « petits parleurs » à qui on proposerait des exercices spécifiques ? Or, les expériences réussies citées plus haut reposent sur un parti pris clair consistant à effectuer,


dès le plus jeune âge, un minimum d’exercices linguistiques et cognitifs explicites auprès des enfants présentant le plus de risques d’échec scolaire futur. En l’absence de cette composante


pédagogique, il n’est pas certain que la réforme engagée par l’Education nationale produise la totalité du bénéfice en termes d’égalités des chances qu’on pourrait en attendre. Si bien


qu’aujourd’hui, pour un enfant de 2 à 3 ans, des solutions de qualité en crèches semblent préférables à la scolarisation en école maternelle (même si, dans les faits, l’alternative ne se


présente pas en ces termes pour les parents, les mêmes territoires ne proposant généralement pas les deux offres). 3. 3 – CERTAINES EXPÉRIENCES ENCORE LIMITÉES ACCROISSENT L’IMPACT DES


CRÈCHES SUR LA RÉUSSITE ÉDUCATIVE FUTURE DES ENFANTS Même si le poids des objectifs éducatifs reste encore généralement faible dans les crèches françaises, certaines collectivités


développent ce qui s’apparente à des bonnes pratiques. Parmi les principales, on peut citer : – le choix d’un NIVEAU ÉLEVÉ DE QUALIFICATION DES PROFESSIONNELS de crèches (certaines villes


emploient 100 % de professionnels diplômés, et parfois uniquement des éducateurs de jeunes enfants et des auxiliaires de puériculture) ; – la priorité donnée à la FORMATION CONTINUE DES


PROFESSIONNELS (par exemple en matière de bientraitance des enfants, afin de développer un climat affectif propice à leur développement) ; – une FORTE IMPLICATION DES PARENTS (y compris les


parents non-francophones ou ayant un faible niveau d’éducation), ce qui passe souvent par des formations spécifiques des professionnels à l’interculturalité. Ces initiatives restent


cependant limitées car leur impact sur le développement ultérieur des enfants n’est jamais évalué scientifiquement et parce qu’elles ne s’intègrent pas dans un projet global où le


développement éducatif serait érigé en objectif central. Parmi les exceptions tranchant avec ce paysage, le programme « Parler bambin » mis en œuvre depuis 2008 à Grenoble se distingue par


son choix de RÉORGANISER L’ACCUEIL EN CRÈCHE AUTOUR DES APPRENTISSAGES LINGUISTIQUES . Généralisé après une évaluation scientifique concluante pilotée par Michel Zorman , le programme vise à


promouvoir de façon cohérente et intensive le développement linguistique des enfants accueillis grâce à trois volets complémentaires  : – L’enrichissement linguistique de l’environnement


général d’accueil : les professionnels sont formés à DÉVELOPPER LES INTERACTIONS LANGAGIÈRES AVEC LES ENFANTS DÈS LEUR PLUS JEUNE ÂGE (« Parler avec l’enfant et non seulement parler à


l’enfant »). Il s’agit de parler avec le bébé dès la naissance, en partant de ses intérêts et en encourageant ses tentatives verbales, même lorsqu’ils sont très silencieux. – Le RECOURS À


DES « ATELIERS LANGAGE » POUR LES ENFANTS QUI NE PARLENT PAS OU TRÈS PEU à 24 mois : ces enfants bénéficient chaque semaine de trois ateliers de 20 minutes en très petits groupes (deux ou


trois enfants), centrés sur divers supports ludiques (imagiers notamment). Cette stimulation linguistique poussée leur permet en général de développer rapidement leur expression verbale. –


La COOPÉRATION AVEC LES PARENTS POUR LES INCITER À ACCOMPAGNER LE LANGAGE DE L’ENFANT : échanges réguliers autour des progrès verbaux de l’enfant, sensibilisation aux méthodes utilisées par


les professionnels, partage des savoir-faire et des outils (prêts de livres, etc.). L’évaluation scientifique de l’expérimentation a mis en évidence DES EFFETS TRÈS POSITIFS SUR LES


PERFORMANCES VERBALES DES ENFANTS AYANT BÉNÉFICIÉ DU PROGRAMME , par rapport aux enfants du groupe témoin qui n’en avaient pas bénéficié . Elle a montré en outre que les enfants ayant le


plus progressé sont ceux qui avaient au début du programme le moins bon niveau de langage : l’efficacité est la plus grande pour les enfants d’origine modeste, en raison des moindres


stimulations linguistiques dont ils bénéficient dans leur famille. Le bilan du programme effectué par la ville de Grenoble montre également qu’il a obtenu une FORTE ADHÉSION DES


PROFESSIONNELS DES STRUCTURES D’ACCUEIL, AINSI QUE DES PARENTS EUX-MÊMES . De nombreux effets positifs connexes ont également été mis en évidence . Le succès du projet à Grenoble et son coût


limité ont conduit à sa TRANSPOSITION DANS PLUSIEURS AUTRES GRANDES AGGLOMÉRATIONS . C’est le cas en particulier à Lille, où il a été expérimenté dans deux structures en 2011, puis étendu à


dix structures en 2013 : une forte adhésion des professionnels et des parents a également été observée, et de nombreuses structures associatives et municipales lilloises demandent


aujourd’hui à intégrer le programme. Le programme « Parler bambin » a en outre été repris par le département d’Ille-et-Vilaine, et il est en cours de mise en œuvre à Nantes et au Havre


notamment . Ces développements attestent de l’efficacité et de l’attrait des programmes de haute qualité éducative pour les établissements. 4 – RECOMMANDATIONS : ASSIGNER UN OBJECTIF


D’ÉGALITÉ DES CHANCES À LA POLITIQUE FAMILIALE, INVESTIR DANS LA QUALITÉ ÉDUCATIVE DES CRÈCHES ET LES OUVRIR AUX FAMILLES PAUVRES A la lumière des constats exposés dans cette note, nous


proposons une première série d’orientations générales à destination des acteurs publics de la petite enfance : elles ont pour but que l’accueil du jeune enfant contribue pleinement à


l’épanouissement et à la réussite de tous les enfants, en particulier les plus défavorisés. Ces orientations seront précisées et développées dans le rapport que Terra Nova publiera en


janvier 2014 et dont cette note constitue la préfiguration. Leur élaboration détaillée se fera en concertation avec les parties prenantes du secteur de la petite enfance, en particulier les


collectivités locales, les associations gestionnaires d’établissements et les professionnels du secteur. RECOMMANDATIONS À L’ÉTAT ET À LA CNAF – Lancer le chantier de la DÉFINITION


OFFICIELLE D’UN QUATRIÈME OBJECTIF DE LA POLITIQUE FAMILIALE qui serait CENTRÉ SUR LE DÉVELOPPEMENT ÉDUCATIF DE L’ENFANT ET L’ÉGALITÉ DES CHANCES , et viendrait s’ajouter aux trois objectifs


existants centrés sur les services aux familles (compensation des charges de famille, soutien aux familles pauvres, et conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle). Cet


objectif pourrait être défini dès 2014 dans le cadre du Programme de qualité et d’efficience annexé au PLFSS pour 2015, puis inscrit ultérieurement dans la convention d’objectifs et de


gestion de la CNAF. - DÉVELOPPER EN FRANCE DES PROGRAMMES DE RECHERCHE SCIENTIFIQUE TOURNÉS VERS L’AMÉLIORATION DU CONTENU DE L’ACCUEIL EN CRÈCHE , en relation avec les praticiens. Ces


programmes pourraient s’appuyer notamment sur la recherche internationale sur la petite enfance et sur les acquis des programmes d’accueil de haute qualité déjà testés scientifiquement aux


Etats-Unis et en Grande-Bretagne. RECOMMANDATIONS AUX COLLECTIVITÉS LOCALES – Promouvoir activement L’AMÉLIORATION DE LA QUALITÉ ÉDUCATIVE DES PROGRAMMES D’ACCUEIL DU JEUNE ENFANT dans les


établissements qu’elles financent, en s’appuyant sur le recensement des meilleures pratiques. Les projets éducatifs pourraient ainsi inclure l’enrichissement en stimulations linguistiques de


l’environnement général, un traitement précoce des retards de langage, et une forte implication des parents – en s’inspirant des acquis de la recherche scientifique et des expérimentations


concluantes déjà menées en France et à l’étranger (programme Perry Preschool – High Scope, programme « Parler bambin », etc.). – S’engager pour RÉALISER RAPIDEMENT L’OBJECTIF GOUVERNEMENTAL


D’ACCUEILLIR AU MOINS 10 % D’ENFANTS DES FAMILLES PAUVRES DANS LES STRUCTURES D’ACCUEIL COLLECTIF , et pour aller au-delà. Adopter ainsi dans chaque commune des objectifs précis d’accueil


accru de ces publics : pour les atteindre, définir notamment des critères d’attribution des places transparents et harmonisés, incluant un mécanisme d’accès préférentiel pour les familles à


bas revenu ou en difficulté sociale, et cesser d’accorder un statut prioritaire aux parents ayant une activité professionnelle. – Dans le cadre des réflexions conduites sur la gouvernance


dans le champ de la petite enfance, ACCROÎTRE LE RÔLE DES INTERCOMMUNALITÉS EN MATIÈRE D’ACCUEIL DU JEUNE ENFANT afin de pouvoir développer l’offre d’accueil en structures collectives de


qualité dans les communes les plus petites et les moins riches.