Quel avenir pour l’impôt local ? Quel financement des services publics locaux ? | terra nova


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2. REFONDER UNE FISCALITÉ LOCALE Il peut paraitre paradoxal de vouloir refonder un impôt local alors que l’encre des dernières réformes supprimant successivement la taxe d’habitation et la


CVAE est à peine sèche. Nous estimons cependant qu’il faut résolument sortir des ajustements et « bricolages » de court terme et repenser plus globalement le système fiscal des collectivités


du bloc local, communes et intercommunalités. A ce jour, les réformes fiscales n’ont jamais eu pour finalité d’être au service des collectivités locales. Elles ont été largement conçues et


surtout utilisées comme un outil de politique nationale, visant des intérêts catégoriels le plus souvent au travers d’allégements fiscaux, avec une concertation minimaliste. Et une


difficulté réelle pour l’État pour appréhender les effets pour les collectivités. En outre, les outils d’évaluation de ces politiques publiques sont rarement au rendez-vous, leur portée est


faible et leurs résultats sont très peu mis en débat. Dans les concertations avec les représentants des collectivités lors d’une transformation de taxes locales, l’approche se limite bien


souvent à mesurer le nombre de « gagnants et de perdants », sans se préoccuper des enjeux locaux. Il s’agit donc ici de renverser la logique et de se placer du côté des territoires, de


partir de la dimension locale trop souvent intégrée dans les réformes comme une contrainte et non comme un point de départ. En ignorant les collectivités, on tourne le dos à la question


pourtant essentielle du financement des services publics locaux. Il s’agit aussi de mieux connecter la fiscalité avec les usages et leurs évolutions. Plusieurs arguments plaident en faveur


de la refondation d’une fiscalité locale. A. RETROUVER UNE COHÉRENCE ENTRE PROJET DE TERRITOIRE ET PRODUIT FISCAL  La territorialisation de l’impôt local est un point central de sa


constitution[13]. Elle prend sa source dans notre histoire nationale, au moment de la Révolution française et de la volonté des Constituants de mettre en place des assiettes localisables,


homogènes et visant avant tout les biens immobiliers[14]. C’est l’origine de la valeur locative qui sert encore aujourd’hui de base de calcul à de nombreuses assiettes fiscales[15]. C’est la


création de l’impôt qui motivera largement la constitution organisée du cadastre, colonne vertébrale de notre code l’urbanisme. A ce titre, la fiscalité locale est supposée refléter les


réalisés économiques et urbaines des territoires. Le principe d’un « retour fiscal » a accompagné les maires bâtisseurs et des élus développeurs de leur territoire. Ainsi les dynamiques de


développement local sont le plus souvent favorables à la croissance des bases : les nouveaux logements sont supposés produire une ressource fiscale nouvelle qui financera les équipements


répondant aux besoins des nouveaux habitants. En matière économique, c’est encore la perspective d’un retour fiscal qui conduit les collectivités à accueillir des entreprises sur leur


territoire. En perdant son caractère local, c’est aussi le rôle « d’aménageur du territoire » de la fiscalité qui disparait. Certes l’apport d’une ressource fiscale supplémentaire ne


constitue pas l’objectif unique des collectivités ; le développement de l’emploi, le besoin de diversifier le tissu économique, d’assurer la fluidité des parcours résidentiels… sont des


motivations bien réelles. Toutefois la question se pose pour les entreprises dont l’accueil peut donner lieu à des effets négatifs : pollutions diverses, circulation routière importante,


consommation foncière élevée…Les communes et leur intercommunalité devront trouver d’autres arguments que le rendement fiscal pour convaincre les habitants d’un quartier à les accueillir.


Renouer le lien entre territoire et fiscalité doit aussi être l’occasion, pour les exécutifs locaux, de mieux définir leur projet de développement et sa mise en œuvre partagée au sein du


bloc local. Deux questions mériteraient ici d’être approfondies, celle de l’échelle de perception de cette fiscalité et celle   de la péréquation notamment en raison de l’inégale répartition


géographique des assiettes. B. DONNER DU SENS À LA DÉMOCRATIE LOCALE Le caractère local de la fiscalité accompagne le principe d’autonomie fiscale et de responsabilité fiscale des exécutifs


locaux. Ce principe implique que l’assiette de l’impôt soit localisable sur un territoire déterminé, que les bases imposables soient réparties de manière relativement homogène et que les


collectivités disposent d’une capacité de modulation de l’impôt via un levier fiscal.  Il concrétise aussi l’idée d’un lien fort et intime entre démocratie locale et fiscalité, lien qui


s’établit entre une collectivité qui fournit équipements et services et des habitants, personnes physiques ou personnes morales, qui en bénéficient. En vertu de ce principe, la fiscalité


locale est porteuse de la volonté initiée par les grandes lois de décentralisation d’établir une connexion entre le développement économique et urbain des territoires et les ressources


mobilisées pour le financer. Plusieurs leviers sont ainsi à la disposition des exécutifs locaux pour maintenir ou accroitre le rendement de l’impôt en vue de financer les charges locales :


conduire des politiques attractives motivant l’installation de nouveaux habitants ou l’arrivée de nouvelles entreprises, donc de nouveaux contribuables. S’il est tout à fait légitime que les


grandes orientations de l’action publique, en matière de cohésion sociale, de développement urbain, d’environnement, de logement, d’enseignement, de santé… soient définies au niveau


national, leur déclinaison est nécessairement locale. Un impôt local a ainsi vocation à responsabiliser les exécutifs locaux dans la façon dont ils mettent en œuvre leurs politiques et dont


ils intègrent avec plus ou moins d’intensité, les attentes des ménages. Ainsi, si les objectifs de lutte contre le réchauffement climatique reposent sur un cadre national, dans la pratique,


leur mise en œuvre sera principalement assurée par les collectivités locales. La suppression de la taxe d’habitation a créé un éloignement peu favorable à l’implication des ménages. Le


paiement d’un impôt implique à minima pour les contribuables de se sentir concerné. Les révolutionnaires de 1789 ne s’y étaient pas trompés en préférant le terme de contribution à celui de


fiscalité. Enfin, il ne faut pas oublier le caractère « universel » de l’impôt local. Par définition, et sauf situation particulière, il est supposé s’adresser à tous les contribuables d’un


territoire, sans contrepartie. La fiscalité locale n’est pas une ressource affectée, elle finance l’ensemble des charges de fonctionnement de la collectivité quelle que soit pour le


contribuable l’intensité du recours aux services proposés. A ce titre, la fiscalité locale est un vecteur fort de solidarité. D’autant que plusieurs dispositifs d’atténuation ou de


dégrèvement prennent en compte la capacité contributive du contribuable. C. ÊTRE À LA HAUTEUR DES NOUVEAUX ENJEUX EN MATIÈRE DE TRANSITION ÉCOLOGIQUE ET ÉNERGÉTIQUE Les impôts locaux


s’inscrivent, plus que les autres catégories de recettes (les recettes tarifaires sont limitées et les dotations de l’État contingentées), dans une logique de rendement. Récemment plusieurs


notes d’expertise ont été publiées pour donner un premier chiffrage concernant la transition écologique et énergétique[16]. Elles évoquent la nécessité de doubler le niveau actuel des


dépenses d’investissement des collectivités du bloc communal qui en seront les acteurs essentiels. Les ressources des collectivités sont de ce fait appelées à jouer un rôle déterminant dans


le financement de ces évolutions. Elles devront être en mesure non seulement de prendre en charge le poids des dépenses structurelles existantes mais également d’accompagner leur évolution


(engagement de personnels spécialisés dans les nouveaux métiers, charges d’ingénierie…), mais également la masse d’investissements nouveaux qu’il faut bien intégrer, rénovation thermique des


bâtiments et des logements, mise en œuvre de nouvelles mobilités, compacité des tissus urbains, équipements en faveur de l’environnement… Les collectivités vont donc avoir besoin de


disposer de ressources stables et prévisibles reposant sur un stock solide et bien corrélé à l’évolution économique. La question de la visibilité à court et moyen terme est une condition


essentielle pour libérer l’investissement local. Le délitement entre le rendement de la fiscalité et son lien avec le territoire (opérations d’aménagement, installation de nouveaux ménages


et d’entreprises…), le changement permanent des règles du jeu ne va pas dans ce sens. Au contraire, il crée un risque d’immobilisme en raison d’un sentiment de dépendance vis-à-vis d’une


assiette qui n’est plus maitrisable par les collectivités. La nouvelle fraction de TVA connait, actuellement du fait de la bonne situation de l’économie nationale et de la hausse de


l’inflation, des taux de croissance très favorables. Elle est appelée à jouer un rôle important dans le financement des investissements à venir. Toutefois, exposée à des risques de


retournement de la conjoncture, elle ne doit pas être l’unique ressource fiscale des collectivités. D. SORTIR DE LA SITUATION DE DÉPENDANCE FINANCIÈRE VIS-À-VIS DE L’ÉTAT. L’érosion continue


des assiettes fiscales a rendu les collectivités très dépendantes des compensations versées par l’État en remplacement de fiscalités supprimées ou transformées. La multiplication de ces


dispositifs a donné lieu à un véritable « maquis fiscal », ou il est bien difficile même pour les experts les plus chevronnés, d’identifier le fait générateur historique de certaines


compensations. Selon les travaux de l’Observatoire des finances et de la gestion publique locale[17], les exonérations législatives représentaient en 2016 un « équivalent produit fiscal » de


4,2 Mds d’euros, compensé à hauteur de 1,6 Mds d’euros par l’État, soit une différence à la charge des collectivités de 2,5 Mds d’euros, soit un « taux de compensation » pour l’ensemble des


exonérations de 39 % en moyenne. En outre, ces compensations et allégements sont couteuses pour l’État alors que son budget est en déficit. Le poids des compensations constitue un réel


facteur de fragilité pour les ressources des collectivité locales. Cette situation de dépendance accrue au regard de la fiscalité transformée de l’État n’est pas sans conséquences pour le


développement local. La recentralisation des ressources locales vers des impôts nationaux évoquée précédemment ne conduit-elle pas, comme ce fut le cas au moment de la baisse de la dotation


globale de fonctionnement décidée unilatéralement par l’État, à un pilotage par le haut de l’action locale ? E. PRÉSERVER UN PRINCIPE DE CONTRIBUTION UNIVERSELLE ET DE SOLIDARITÉ La


suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales a entrainé un changement de cap majeur. Avec la disparition de cet impôt, une partie parfois non négligeable des ménages se


trouve désormais totalement dispensée de contribuer aux charges locales. C’est le cas des ménages non-propriétaires de leur résidence principale[18], devenus d’une certaine façon des « 


passagers clandestins » au financement de la cité. De fait ils ne seront plus sollicités, alors que leur « usage » des services communaux ou intercommunaux (transport, équipements divers,


aménagements urbains…) n’en aura pas diminué pour autant. Le risque de les voir se déresponsabiliser du coût de fourniture des services publics est réel. Avec la suppression de la taxe


d’habitation, disparait aussi la vocation de solidarité entre contribuables assurée par l’impôt local, recette non affectée dans un budget. Pour autant, les politiques publiques


peuvent-elles être uniquement financées par des politiques tarifaires ? Dans une majorité de collectivités, ce type de ressources ne permet pas, loin de là, d’équilibrer le financement des


services offerts, et un complément du budget général est très souvent indispensable. Sans compter le fait que certains services publics (l’éclairage, la voirie, la sécurité…) ne sont pas


facilement transformables en services « tarifables ». Avec l’évolution du panier fiscal, la question du bon positionnement du curseur entre le contribuable et l’usager devient de plus en


plus pressante dans le débat local. L’idée étant que chacun participe selon sa capacité contributive au financement du bien commun. Enfin, l’impôt de remplacement, la TVA, est un impôt sur


la consommation des ménages et des entreprises, bien éloigné des services publics locaux. F. RÉÉQUILIBRER LA CHARGE FISCALE ENTRE CATÉGORIES DE CONTRIBUABLES La fiscalité économique locale a


connu de profondes et lourdes transformations marquées par la suppression en 2010 de la taxe professionnelle (TP) instaurée en 1975. Cette dernière représentait une part importante de la


fiscalité locale directe et était la principale ressource fiscale des intercommunalités. Critiquée pour _« un effet pénalisant sur l’investissement notamment dans les secteurs intensifs en


capital _ » et vue comme « _un frein au développement de projets innovants_ » [19] la TP avait préalablement fait l’objet de multiples transformations. Pour les collectivités, cette


suppression s’est traduite par un panier fiscal de remplacement composite[20] et pour les entreprises par allégement de leur charge fiscale[21]. En 2021, sur les 166 milliards d’euros de


fiscalité perçus par les collectivités locales, 56 milliards d’euros (soit 34%) ont été payés par les entreprises, Cette contribution est nettement inférieure à celle des ménages (90 


milliards d’euros, soit 55% du total), les 19 milliards d’euros (11%) restants étant versés par les administrations publiques.[22] Plus récemment (loi de finances pour 2023), la CVAE n’a pas


résisté au mouvement de contestation de la fiscalité locale par les entreprises, elle a été supprimée à son tour, soit un allégement de l’ordre de 10 milliards d’euros. Et remplacée par


l’affectation d’une fraction du produit de la TVA nationale aux collectivités. Depuis 2007, au niveau national, les parts de l’impôt sur les sociétés, du produit de la TVA et des recettes


non fiscales dans les recettes totales de l’État ont diminué, et tout particulièrement celle de l’impôt sur les sociétés, passée de 17 % en 2007, à 11, 3 % en 2019, soit un recul de près de


six points. Au cours de la même période, la part de l’impôt sur le revenu dans les recettes totales de l’État a augmenté, passant de 16,6% en 2007 à 24 % en 2019, soit une hausse de plus


sept points. On peut légitiment en déduire que les recettes de l’État reposent désormais davantage sur les ménages, entrepreneurs individuels compris, que sur les entreprises. Outre ce


transfert de charge fiscale des entreprises vers les ménages, on notera que les pertes de recettes fiscales liées aux baisses d’impôts sur les entreprises ont aussi été compensées par une


augmentation de la dette publique. De nombreuses recherches[23] ont montré que la qualité de l’offre de services pour les salariés (logement, transport, mais aussi loisirs …) était pour les


dirigeants d’entreprises un facteur déterminant dans leur choix de localisation (bien plus que la fiscalité), mais aussi de productivité et de compétitivité. De ce point de vue, il est du


ressort des entreprises, en tant qu’acteurs agissant sur le territoire, y prélevant des ressources et générateurs d’externalités, positives mais aussi négatives, de contribuer à son bon


fonctionnement et à son attractivité. La fiscalité économique locale est un bon moyen d’y parvenir. G. LA FISCALITÉ LOCALE DOIT-ELLE VRAIMENT ÊTRE… LOCALE ? On ne peut pas ignorer que la


territorialisation de la fiscalité présente bien des avantages, mais elle a aussi ses contradicteurs, au premier rang desquels se trouvent les territoires qui connaissent des situations


économiques ou démographiques peu favorables. De fait, le retour à une territorialisation de l’impôt local ne peut faire l’impasse sur la réalité de l’inégale répartition des contribuables


sur le territoire national et, ce faisant, des possibilités différenciées de mobilisation de la ressource par les collectivités. Cela se vérifie, notamment en matière de fiscalité


économique, les entreprises pourvoyeuses de fiscalité, les zones commerciales ou de bureaux ne se développent pas uniformément sur le territoire national, les territoires urbains et les


secteurs industriels sont généralement mieux pourvus en activités productives et de services. Ces inégalités de la géographie fiscale se vérifient moins en matière de taxe sur le foncier


bâti dont la répartition plus homogène, offre une forme de garantie. De fait, elle constitue une ressource stable et régulière pour la grande majorité des collectivités du bloc local,


notamment pour les communes. Dans tous les cas, un retour à la territorialisation des impôts locaux devra impérativement s’accompagner de dispositifs puissants de péréquation (verticaux et


horizontaux[24]), en particulier en faveur des territoires ou le développement économique et urbain est moins dynamique. L’argument de la simplification est également souvent avancé.


L’opacité grandissante du système fiscal local actuel, pourrait conduire certains élus à préférer une ressource, du type dotation, certes moins connectée avec le territoire, mais plus


lisible, plus simple, voire mieux acceptée. Plus encore, le thème d’une fiscalité solidaire et mutualisée ne fait toujours l’unanimité. Pour certains contribuables qui ne veulent pas payer


pour les autres, la fiscalité locale peut aussi être un facteur de rejet des élus locaux. Enfin, des voix se font entendre sur une (prétendue) nécessité de sortir de l’exception française et


de se couler dans le modèle fiscal, en voie de généralisation en Europe de fiscalités nationales partagées. QUEL PANIER FISCAL LOCAL EN 2022, COMMENT A-T-IL ÉVOLUÉ ? En 2022, les recettes


fiscales des collectivités du bloc communal s’élèvent à 86,7 Mds d’euros. Elles sont composées de diverses taxes, que l’on peut regrouper en deux sous-ensembles : la fiscalité directe (avec


ou sans pouvoir de taux) où l’on retrouve ce qu’il subsiste des impôts locaux encore actifs, et la fiscalité indirecte ou spécialisée sur un objet précis. À ces ressources de nature fiscale


s’ajoutent des dotations dites compensatoires correspondant à des recettes fiscales anciennes au gré des réformes fiscales, principalement DCRTP et Compensation part salaire (dotation de


compensation des groupements). Le schéma initial, mis en place au moment de la décentralisation, correspondait à une fiscalité composée de 4 taxes (taxe sur le foncier bâti, taxe sur le


foncier non bâti, taxe d’habitation et taxe professionnelle) s’adressant aux ménages et aux entreprises installées sur un territoire donné et réparties de façon additionnelle sur chaque


échelon de collectivité. Ce schéma a fortement évolué au fil du temps. La fiscalité s’est, dans un premier temps, spécialisée au sein du bloc communal, les impôts économiques (CVAE, CFE,


IFER) allant plutôt aux structures intercommunales. Par la suite, les régions ont échangé leur fiscalité (puis leurs dotations) pour une fraction de TVA nationale. En 2022, la taxe sur le


foncier bâti est devenue le principal impôt local des communes, tandis que, pour les intercommunalités, la suppression de la taxe d’habitation et de la CVAE à partir de 2023 placeront les


fractions de TVA nationale au centre de leur financement.