« Fanpage » : le pure player napolitain qui défie Giorgia Meloni | la revue des médias
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« Fanpage », qui s'est fait connaître pour ses enquêtes, est le quatrième site d’information généraliste le plus important d’Italie.
À l’origine d’une enquête qui a révélé les sympathies néofascistes des jeunes militants du parti de la Première ministre, « Fanpage » est aujourd’hui considéré un important journal
d’opposition en Italie. Un destin imprévisible pour ce média en ligne qui a construit sa fortune sur Facebook.
« Dans toute l’histoire de la République italienne, personne n’avait jamais fait ce que Fanpage a fait avec notre parti. On ne s’était jamais infiltré dans une organisation politique pour
filmer secrètement ses réunions. C’est une nouvelle frontière qui a été franchie dans la lutte politique. À une autre époque, ces méthodes étaient utilisées par les régimes dictatoriaux. »
Le 28 juin 2024, en marge d’un Conseil européen et après des semaines de silence, Giorgia Meloni prend enfin la parole pour commenter le sujet brûlant du moment en Italie. Deux semaines plus
tôt, le média napolitain Fanpage a publié une enquête sur Gioventù nazionale, le mouvement de jeunesse de Fratelli d’Italia, le parti de la Première ministre. Douze longues minutes d’images
prises en caméra cachée qui montrent des militants et des dirigeants de premier plan de Gioventù Nazionale entonner des chants où l’on se définit comme des « légionnaires de Mussolini », ou
assister à des concerts de groupes identitaires en faisant des saluts fascistes.
Acculée, Giorgia Meloni n’a d’autres choix que de condamner ces comportements. Mais tout en affirmant vouloir se débarrasser des nostalgiques, la leader d’extrême droite dénonce la méthode
utilisée par Fanpage.
Cas presque unique en Italie, Fanpage n’hésite pas à recourir à des journalistes sous couverture pour ses enquêtes. Armés de caméras cachées habilement dissimulées, ils infiltrent pendant
des mois (voire des années) les organisations et les réseaux dont ils souhaitent révéler les pratiques. Une véritable marque de fabrique.
Au sein de la rédaction de Fanpage, les enquêtes sont l’apanage d’une petite cellule composée de trois-quatre journalistes qui consacrent l’entièreté de leur temps à ce travail
d’investigation. Celle-ci répond au nom de « Backstair ». « C’est une expression qui veut dire “bruits de couloirs”, mais littéralement ça signifie “escalier de service”, explique Luigi
Scarano, 33 ans, qui dirige cette équipe. C’est ce qu’on fait ici, on entre depuis l’escalier de service et on raconte ce qu’on a vu. »
Backstair existe depuis 2019, mais l’appétence de la rédaction pour les enquêtes infiltrées est antérieure. Avant de s’en prendre aux grands acteurs de la politique nationale, le média avait
déjà dénoncé plusieurs malversations sur le territoire napolitain, notamment en 2018, lorsque l’enquête « Bloody money » avait dévoilé un système criminel de gestion des déchets impliquant
plusieurs responsables politiques locaux.
Ce travail journalistique, réalisé grâce à la complicité d’un ancien chef de la Camorra (la mafia napolitaine) infiltré pour le compte de Fanpage, va offrir une crédibilité nouvelle au
média, qui va alors creuser ce filon. Quelques années plus tard, le site d’information frappe un nouveau grand coup.
En octobre 2021, à la suite d’une infiltration de presque trois ans, le média napolitain publie « Lobby noir », une enquête vidéo qui dévoile l’existence d’un réseau néofasciste milanais
connecté notamment à un député européen de Fratelli d’Italia, Carlo Fidanza. Celle-ci déclenche une enquête judiciaire pour financement illégal du parti et blanchiment d’argent (finalement
classée sans suite) contre Carlo Fidanza.
« Lorsqu’il y avait d’autres forces au gouvernement, on agissait de la même manière »
À l’époque déjà, Giorgia Meloni avait réagi en dénonçant un complot : « Peut-on parler de journalisme lorsqu’on ne travaille pas pour documenter des comportements illicites, mais pour les
provoquer ? », s’insurgeait alors celle qui n’était pas encore Première ministre. Sur la défensive, la leader de Fratelli d’Italia a toujours laissé entendre que Fanpage serait un média «
ennemi » de son parti et orienté à gauche. Une définition restrictive, dans laquelle le codirecteur du site d’information, Adriano Biondi, ne veut pas se laisser enfermer.
« C’est évident qu’un journal doit se concentrer sur ceux qui détiennent le pouvoir, mais lorsqu’il y avait d’autres forces au gouvernement, on agissait de la même manière », revendique
l’homme qui rappelle les enquêtes passées qui ont visé le Parti démocrate, situé à gauche sur l’échiquier politique.
Dans un contexte où l’extrême droite exerce le pouvoir, le journal affiche des valeurs qui le situent clairement à l’opposition. Mais pour Fanpage, refuser une étiquette politique est aussi
un moyen de revendiquer sa différence par rapport à une bonne partie des titres historiques de la presse transalpine, vus comme des « journaux d’opinion », soucieux d’orienter la pensée des
lecteurs et le débat public vers des thèmes bien précis. « Nous, nous faisons un autre métier, nous sommes un journal populaire qui fournit un service généraliste », souligne le directeur,
Francesco Cancellato. « Un média qui veut parler à un public très vaste, insiste Luigi Scarano, sans utiliser un langage incompréhensible comme d’autres journaux. »
Pour comprendre cette identité populaire, ce refus de s’inscrire dans une élite intellectuelle, il faut remonter aux origines de ce média. En 2010, Fanpage n’est encore qu’une idée, celle
d’un entrepreneur napolitain, Gianluca Cozzolino (propriétaire du groupe éditorial Ciaopeople), qui décide de lancer une série de pages d’information thématiques sur Facebook. Dans le
jargon, on appelle ça des « Fanpage ».
« Il avait compris la potentialité de Facebook comme hub de diffusion de l’info », retrace Adriano Biondi. Nous avons alors commencé à développer toute une série de Fanpage : auto-fanpage,
musique-fanpage, football-fanpage etc. » Biondi évoque là un « stade embryonnaire » du média, qui prend fin avec la naissance officielle du journal en ligne Fanpage.it, enregistré auprès du
tribunal de Naples le 26 juillet 2011.
Dans les années qui suivent, le site d’information commence à construire son identité. À l’opposé des médias traditionnels, Fanpage veut s’inspirer des principes du « journalisme citoyen »,
très en vogue à l’époque.
« L’idée, c’était de recourir aux contenus des usagers, mais toujours en vérifiant, en apportant une médiation, un approfondissement », retrace une bonne décennie plus tard Adriano Biondi,
qui se souvient de cette époque comme celle où Fanpage va former sa propre base de « vidéo reporters ». Le recours à la vidéo, l’habileté dans l’exploitation des réseaux sociaux et cette
volonté de rester un média populaire, « au service du lecteur, qui ne fait pas de distinctions entre arguments nobles et moins nobles », ont été les clés du succès de Fanpage, selon Biondi.
Au même titre que ses enquêtes qui lui ont donné un surplus de crédibilité.
Aujourd’hui, Fanpage se présente comme un site d’information généraliste classique, le quatrième plus important d’Italie, avec en moyenne 1,6 million de visiteurs uniques par jour
comptabilisés à l’été 2024. Né sur Facebook, il y compte 8,5 millions d’abonnés (3,17 millions sur YouTube, 2,3 millions sur Instagram). Son modèle économique repose sur la publicité et le «
brand content ». Efficace, cette recette permet à Fanpage d’avoir un bilan comptable positif et de salarier une équipe de 70 journalistes répartis sur trois sites : Naples, Rome et Milan.
De quoi satisfaire Francesco Cancellato : « On fait partie de cette classe de petits journaux digitaux européens qui n’ont pas une histoire centenaire, mais qui ont obtenu une centralité,
grâce à leur courage, à leur indépendance, à leurs enquêtes. Et qui savent parler aux nouvelles générations grâce à leur capacité d’innovation. »
Federica Angeli, journaliste au quotidien italien La Repubblica, enquête sur les trafics des familles criminelles d’Ostie, près de Rome. Pour sa protection et celle de sa famille, elle doit
vivre sous escorte. Rencontre.
En France comme en Italie, l’extrême droite a conforté sa position lors des dernières élections européennes. Nommée présidente du Conseil des ministres d’Italie en octobre 2022, Giorgia
Meloni a repris en main l’audiovisuel public. À quel point ? Entretien avec l'historien Peppino Ortoleva.