80 % de la durée des JT consacrée au nouveau coronavirus durant le confinement
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Le 19/45 de M6, présenté par Nathalie Renoux, est le premier JT à évoquer le coronavirus le 18 janvier.
Avec plus de la moitié des journaux télévisés consacrée au nouveau coronavirus, la crise sanitaire a bénéficié d’une couverture exceptionnelle. Ni les précédentes épidémies ni la santé en
général ne sont d’ordinaire aussi médiatisées.
Avec plus de la moitié des journaux télévisés consacrés à la pandémie de Covid-19 pendant six mois, les chaînes généralistes de la télévision ont joué un rôle majeur dans la médiatisation de
cette crise sanitaire.
Entre le 18 janvier et le 3 juillet 2020, le coronavirus SARS-CoV-2 a suscité 8 466 sujets, soit 50 sujets en moyenne par jour dans les JT de 20 heures. Cela représente 60 % de l’offre
d’information globale du 1er semestre 2020 (en nombre de sujets). La Covid-19 a ainsi occupé 253 heures et 43 minutes du temps des JT du soir des cinq principales chaînes (TF1, France 2,
France 3, Arte, France 5, M6), ce qui représente 56 % de leur durée totale. Si cette proportion est relativement similaire quelle que soit la chaîne, TF1 est celle qui a accordé le plus de
place au sujet : 59,4 % de la durée de son JT sur les six mois étudiés (58,6 % pour France 2 ; 57,2 % pour M6 ; 56,2 % pour France 3 ; 40 % pour Arte).
Après un premier sujet dans le JT du matin de France 2 le samedi 18 janvier, le premier JT de fin de journée à évoquer ce nouveau coronavirus est le 19/45 de Nathalie Renoux sur M6, le même
jour : un deuxième mort est déclaré en Chine, ainsi que des premiers cas à l’étranger (deux en Thaïlande, un au Japon). C’est alors le huitième sujet (sur 16), l’actualité étant dominée par
les grèves contre le projet de réforme des retraites. Un peu moins de deux minutes sont consacrées au « mystérieux virus chinois [et à] la peur de la contamination », au cours desquelles la
chaîne donne la parole à Arnaud Fontanet, épidémiologiste à l’Institut Pasteur.
Le lendemain, M6 n’en reparle pas et le sujet fait l’ouverture du JT de 20 heures de Laurent Delahousse sur France 2 (« Virus en Chine : le spectre de l’épidémie ») comme de celui
d’Anne-Claire Coudray sur TF1 (« Pneumonie virale : faut-il s’inquiéter ? ») — qui l’avait aussi évoqué au tout début du journal de 13 heures. Le ton est toutefois assez différent sur les
deux chaînes. TF1 mentionne les chiffres officiels chinois (62 cas en Chine) en ajoutant que, « selon un centre de recherche britannique, le virus aurait contaminé plus de 1 700 personnes ».
Interrogé à la suite d’Arnaud Fontanet, Vincent Enouf, virologue à l’Institut Pasteur, indique par ailleurs que la situation présente « un risque qui est loin d’être modéré ». Sur France 2,
les évaluations britanniques ne sont pas évoquées et le professeur Yazdan Yazdanpanah, de l’hôpital Bichat, se veut plus rassurant : « Là, on prend les choses beaucoup plus vite, et je
pense que l’ampleur va être beaucoup moins importante, même si c’est aussi grave [que le SRAS] ». Arte diffuse le même jour son premier sujet sur le nouveau coronavirus dans le JT présenté
par Marie Labory, sans toutefois en faire le sujet d’ouverture. Quant à France 3, il faut attendre le lendemain, lundi 20 janvier, en milieu du journal présenté par Carole Gaessler.
Sur toutes les chaînes, la médiatisation reste ensuite pendant près d’un mois de faible intensité, mais s’accroît brusquement, une première fois, le 26 février (au lendemain de l’annonce du
premier décès en France), puis le 12 mars, lors de l’adresse aux Français d’Emmanuel Macron, et décroît ensuite progressivement avec la fin du confinement, à partir de la mi-mai. Entre
temps, pendant les huit semaines de confinement, la part des JT consacrée à la pandémie a atteint un record de 80,5 %. Sur la même période, nous avions établi que les chaînes d’information
en continu lui ont consacré 74 % de leur temps d’antenne.
Le pic du nombre de sujets (100) est quant à lui atteint le 28 avril, date à laquelle le gouvernement annonce le plan de déconfinement du 11 mai.
Le top 10 des personnalités qui sont le plus intervenues dans les JT ne comprend pas de femmes (Agnès Buzyn, ministre de la Santé et des Solidarités jusqu’à la mi-février, occupant la 11e
place). Il est composé des responsables politiques, de Jérôme Salomon, chargé des points quotidiens d’information et des médecins consultants de TF1 et France 2. Le président américain
Donald Trump a également bénéficié d’une visibilité exceptionnelle. Le professeur Didier Raoult n’arrive qu’à la 16e place de ce classement, ce qui laisse à penser que sa visibilité a été
bien moindre sur les chaînes historiques que sur les chaînes d’information en continu, où sa médiatisation rivalise avec celle d’Olivier Véran, ministre de la Santé. À l’inverse, le ministre
de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, Jean-Michel Blanquer (8e place de notre classement) semble avoir réservé sa communication aux chaînes historiques.
Nombre de prises de parole dans les sujets traitant de la pandémie, quelle qu’en soit la forme (interview plateau, liaison par application en ligne, reportage, extraits d’allocution…) au 1er
semestre 2020.
Avant l’apparition de la Covid-19, plusieurs épidémies majeures1 ont retenu ponctuellement l’attention des JT ces vingt-cinq dernières années. Le nombre de morts semble être un facteur
expliquant leur inégale médiatisation – à l’exception notable du SIDA, installé dans la durée.
Jusqu’à aujourd’hui, la plus forte médiatisation d’une épidémie dans les journaux télévisés (1 089 sujets) concernait, en 2009, la pandémie de grippe A (H1N1), responsable d’un nombre de
morts très important, quoique difficile à évaluer précisément (les estimations varient de 150 à 575 000 décès).
L’épidémie de SRAS (774 décès en 2002-2003) a fait l’objet de 319 sujets dans les JT. Celle de chikungunya, qui a frappé La Réunion en 2006 (203 décès), de 126 sujets. En 2014, l’épidémie
liée au virus Ebola qui éclate en Afrique de l'Ouest puis touche l’Europe (au moins 11 000 morts) a fait l’objet de 364 sujets. Enfin, de manière plus modeste, l’épidémie liée au virus Zika
et celle de dengue, peu mortelles, ont également fait l’objet de quelques sujets (respectivement 61 et 64).
L’intensité de la couverture médiatique d’une pandémie dépend-t-elle mécaniquement du nombre de morts que celle-ci provoque ? Non, et c’est ce que montre le cas du sida, dont on estime le
nombre de morts à 25 millions entre 1981 et 2006. La médiatisation de la pandémie de sida, identifiée en 1981-1982 et toujours active à ce jour, apparaît en toile de fond, comme une
constante (2 253 sujets sur la période), mais avec une très nette tendance à la baisse depuis 1995, alors que le nombre de morts double entre 1995 et 2003. Depuis 2007, le nombre de morts
est en baisse et, dans le même temps, le nombre de sujets consacrés à l’épidémie continue de diminuer, pour passer sous la barre des vingt sujets par an en 2018 – ce qui est très peu en
regard du nombre de décès liés à une infection au VIH qui restent à déplorer chaque année (près de 700 000 en 2019).
Par ailleurs, le sujet est surtout évoqué dans les JT dans le cadre d’affaires politico-judiciaires : l’affaire « des infirmières bulgares » entre 1999 et 2007 et l’affaire du sang
contaminé, révélée en 1991 mais dont les suites judiciaires se prolongent jusqu’en 2003.
D’une manière générale, la santé représente habituellement une thématique relativement marginale dans les JT, loin derrière les sujets de société, de politique internationale et française,
et d’économie. En année ordinaire, les journaux télévisés lui consacrent en moyenne 3,3 % de leurs sujets.
Les journaux télévisés ne sont pas les seuls programmes à avoir été bouleversés par la crise sanitaire provoquée par le coronavirus SARS-CoV-2. En effet, toutes les chaînes — à l’exception
d’Arte, moins touchée car proposant moins d’émissions de flux — ont dû revoir leurs grilles de programmes.
France 2, et secondairement Canal+, sont les chaînes ayant le plus révisé leurs grilles en période de confinement.
Si Canal+ a réagi à l’annonce du confinement en annonçant sa diffusion en clair jusqu’au 31 mars, ce sont les chaînes du service public, et notamment France 2, qui ont mis en place le plus
de nouvelles émissions pour accompagner le confinement, avec des programmes de service : La maison Lumni, l’émission destinée à contribuer à la « continuité pédagogique » pour les écoliers,
mais aussi La p'tite librairie ou #Restez en forme — ces émissions étant par ailleurs diffusées sur les différentes chaînes du groupe France Télévisions. Les chaînes ont aussi proposé des
émissions de divertissement, telles que Tous en cuisine en direct avec Cyril Lignac sur M6, Jouons à la maison sur France 3 ou The Show Must Go Home sur TF1.
Toutes les chaînes ont, de préférence, proposé des déclinaisons « à la maison » de leurs émissions régulières, comme Qui veut gagner des millions à la maison sur TF1, Affaire conclue à la
maison sur France 2 ou encore La maison des maternelles chacun chez soi sur France 5. Leurs dispositifs ont été adaptés aux contraintes du confinement, avec des tournages en équipe réduite
(The Voice, sur TF1 ou Top Chef sur M6), des enregistrements sans public ou au domicile du présentateur ou de la présentatrice, ou encore des échanges avec certains chroniqueurs par
téléphone ou en ligne. France 2 se distingue à nouveau en ayant maintenu le plus de rendez-vous au format modifié.
Enfin, certaines émissions ayant vu leur tournage annulé, les chaînes ont dû recourir à des déprogrammations (pas moins de 13 sur Canal+, très pénalisée par l’arrêt des rencontres sportives)
ou remplir les cases avec des rediffusions de numéros déjà disponibles, comme pour 50’ Inside et Les 12 coups de midi sur TF1, N'oubliez pas les paroles sur France 2, ou Plus belle la vie
sur France 3.
Bien évidemment, la radio a également été affectée par l’actualité de la crise sanitaire et ses nouvelles contraintes. Avec un format gagnant durant le confinement : la libre antenne. Pour
entretenir la proximité avec des auditeurs dont les habitudes d’écoute ont été chamboulées, les radios généralistes se sont en effet appuyées sur ce dispositif bien rodé.
Si certaines émissions de télévision ont été raccourcies, toutes les radios ont à l’inverse étendu leurs plages de libre-antenne, et parfois créé de nouveaux rendez-vous. C’est France Inter
qui a le plus exploité ces possibilités, avec pas moins de quatre nouveaux créneaux ouverts aux auditeurs (comme Message personnel et Le Grand rendez-vous), tandis que Le Téléphone sonne et
Grand bien vous fasse ! ont vu leur durée doubler pour atteindre deux heures.
Face à l’arrêt des compétitions sportives qui a perturbé la programmation de RMC, la radio a réagi avec l’ouverture de RMC Mobilisation Générale, de 18 heures à 22 heures. De son côté,
Europe 1, qui n’a pas créé de nouvelle émission de libre-antenne à proprement parler, a néanmoins intégré à divers programmes les questions laissées par les auditeurs sur son répondeur, très
sollicité. France Culture reste finalement la seule station à ne pas proposer ce format — sauf par l’intermédiaire de la mutualisation des programmes, puisque la station a, pendant le
confinement, diffusé la matinale de France Inter.
La crise sanitaire est également un sujet de discussion sur les réseaux socionumériques. Nous avons collecté les tweets comprenant 149 hashtags liés à l’épidémie (de #Covid19 à #ALaMaison en
passant par #StopCovid ou #MerciAuxSoignants), et envoyés ou mentionnant des comptes liés aux télévisions nationales (chaînes « historiques » et chaînes d’information en continu). Comme en
temps ordinaire, les chaînes d’information en continu compensent leurs audiences plus faibles par une présence active dans les discussions menées sur Twitter : 80 % des tweets sont liés à ce
groupe de chaînes. Parmi celles-ci, BFMTV et LCI sont les plus actives et présentes dans les conversations, avec respectivement 38 % et 26 % des tweets collectés pour ce type de médias
(CNews 18 %, franceinfo: 13 % et France 24, 5 %).
700 000 heures de programmes analysés à l’aide d’une intelligence artificielle nous ont permis de mesurer le temps de parole des femmes dans les médias. Verdict : la période de confinement a
été marquée par un recul de la présence vocale des femmes à la télévision et à la radio. Un décrochage particulièrement notable sur les chaînes d’information en continu.
Près de 100 000 000 de mots passés à la loupe : l’INA a étudié plus de 8 000 heures de programmes sur les chaînes d’information en continu, et 400 heures de programmes d’info sur les
chaînes historiques, pour déterminer le « temps d’antenne » consacré au coronavirus. Bilan : la médiatisation du Covid-19 et de ses conséquences est un phénomène absolument inédit dans
l’histoire de l’information télé.
Assurer la présence d’un ou plusieurs invités dans une émission en pleine crise sanitaire, qui impose de reconstituer un réseau de personnalités expertes, est loin d’être aisé. C’est le rôle
des programmateurs, attachés de production et autres producers. Plongée dans le quotidien de celles et ceux dont le travail est aussi essentiel que méconnu.