Romy Victory, la youtubeuse qui réinvente le récit criminel


Romy Victory, la youtubeuse qui réinvente le récit criminel

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La lumière est tamisée, la diction calme, presque murmurée. Sur l'étagère derrière elle, un livre sur les chats — l'une de ses passions. Mais ici, pas de ronronnements. Sur sa


chaîne YouTube, suivie par plus d'un million d'abonnés, Romy Victory dissèque des récits glaçants : disparitions, emprises, dérives sectaires. Loin du sensationnalisme souvent


associé au genre, elle prend le temps d'approfondir les histoires avec sobriété et recul.


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En vous inscrivant, vous acceptez les conditions générales d’utilisations et notre politique de confidentialité. [embedded content] Son parcours débute en Bretagne, près de Saint-Brieuc. Une


enfance contrastée, marquée par du harcèlement au collège « à une époque où les ressources pour nous aider étaient peu développées », mais aussi nourrie par un imaginaire fertile, partagé


avec sa sœur de six ans sa cadette : « On s'était inventé un monde qu'on appelait “le pays des fées”. Ça peut paraître insignifiant, mais ça a vraiment nourri notre imagination. »


Sa passion pour les histoires remonte à l'enfance. Son père, littéraire dans l'âme, écrivait et lisait régulièrement des poèmes à ses filles, premières spectatrices attentives. En


parallèle, la famille écoute des émissions comme_ Faites entrer l'accusé _ou celles de Pierre Bellemare. « Ah c'est drôle, j'ai son ouvrage _Crimes dans la soie_ juste devant


moi ! » s'interrompt Romy par téléphone. Inspirée par ces voix, elle se met à écrire : « Depuis que j'ai l'âge d'écrire, j'écris. Je voulais en faire mon métier,


c'était mon seul objectif jusqu'au lycée environ. Puis la vie a suivi son cours et j'ai mis ce rêve de côté un moment, mais sans jamais l'abandonner. » 


Après des études en communication et journalisme, elle part s'installer à Québec, terre d'origine de sa mère franco-québécoise. Avec un sentiment de retour aux sources, pourtant


jusqu'alors inconnues. « Je ne me projetais pas en France, je ne voyais pas ma vie s'y développer. » Elle travaille et continue d'écrire — thrillers, fantastique, polar —,


traçant les contours de son univers à venir. À LIRE AUSSI AMY PLANT, LA YOUTUBEUSE QUI EXPLOSE LES ALGORITHMES (ET LES CLICHÉS)Comme beaucoup d'enfants des années 1990, Romy grandit


avec l'arrivée des ordinateurs. Et c'est le coup de foudre. « Ma sœur était déjà sur YouTube et m'a embarquée dans ses vidéos. C'était très old school, mais j'ai


trouvé ça super cool. » Passionnée de mode vintage, elle lance une chaîne dédiée aux années 1950. « YouTube s'est professionnalisé. Tu grandis avec, et un jour tu réalises que tu es


devenue youtubeuse pro. » [embedded content] Après six ou sept ans à décrypter la mode, elle change de cap. Pour Halloween, elle publie une vidéo centrée sur trois histoires d'horreur.


Le succès est immédiat. Elle enchaîne alors avec un récit sur les criminels présents sur les réseaux sociaux. « J'ai monté cette vidéo toute la nuit et mis tout mon cœur. Là, j'ai


su que c'était ça. » Depuis, les vidéos s'enchaînent. Derrière la variété des histoires, une constante : « Raconter des tranches de vie ». Pour trouver ses sujets, elle veille sur


Internet, écoute, échange : « J'ai un radar toujours allumé, en quête de la prochaine histoire. »


Mais comment les sélectionner ? Et qu'est-ce qui rend un fait divers universel ? « Chaque histoire est universelle, car chaque drame, chaque victime méritent d'être racontés »,


affirme la jeune femme. Avant de poursuivre : « Ce sont des histoires qui touchent tout le monde, mais moi, je choisis celles qui m'interpellent vraiment. Celles qui ont un message


d'espoir ou qui posent des questions éthiques par exemple. »


À LIRE AUSSI PAOLA LOCATELLI, LA STAR DES RÉSEAUX QUI VEUT S'IMPOSER AU CINÉMAAuparavant en totale autonomie, Romy est désormais accompagnée d'une journaliste et d'un monteur.


Mais qui dit visibilité et succès dit également contraintes. Au-delà de la pression, présente comme dans n'importe quel métier entrepreneurial, la question de la monétisation est un


défi. « Les règles sont très strictes. Dès que tu dis “kidnapping”, “meurtre” ou d'autres termes similaires, tu es classé en “contenu sensible”. Après trois ou quatre vidéos de ce type,


tu es quasiment certain d'être démonétisée. Aujourd'hui, presque toutes mes vidéos le sont. »


Se pose également la question de l'équilibre émotionnel. Pour Romy Victory, « c'est un peu comme être actrice ». « Quand tu joues une scène dans un film, tu dois t'investir


émotionnellement, sinon tu ne rends pas justice à l'histoire. Je me donne corps et âme dans chacune d'elles. » Une fois la vidéo publiée, la conteuse parvient à prendre du recul,


notamment grâce à ses autres passions (dont son autre activité d'actrice !) et ses proches. 


Mais certaines histoires, dit-elle, continuent de l'habiter. Alors, pour aller plus loin, pour écrire sans contrainte d'algorithmes ni limite de temps, elle s'est tournée vers


le livre. _Connexions mortelles_, publié le 16 avril dernier (Talent Sport éditions), rassemble dix récits noirs, choisis et travaillés comme autant de fragments de société. Une


consécration pour celle qui se rêve écrivain depuis son plus jeune âge. Si cet ouvrage s'offre comme un prolongement de son travail, c'est également un objet à part et le moyen de


ressentir différentes émotions : « Le format écrit permet une vraie collaboration avec le lecteur. Dans un livre, c'est lui qui se fait son propre film dans sa tête. Tu lui donnes des


pistes, mais il crée son propre tableau. Il me semble que c'est plus riche que dans la vidéo, où tu imposes certaines images et directions. »


Au fil des pages, on découvre une famille décimée en direct sur un forum de jeux vidéo, une soirée pyjama qui vire au drame, une jeune femme assassinée par son match Tinder, le défi mortel


de la baleine bleue, ou encore une blogueuse modèle retrouvée morte lors d'un jeu sexuel. « Je voulais des histoires qui me prennent aux tripes, avec un arc narratif fort, et qui ne se


ressemblent pas. »


Derrière cette sélection, une ambition : dresser un paysage du crime à l'ère numérique. « Internet n'a pas inventé le crime, dit-elle sans détour. Il lui a simplement donné de


nouvelles formes. » Et dans ce monde saturé d'images, Romy Victory choisit de tendre l'oreille plutôt que de forcer le regard. De raconter sans surexposer. Transmettre, non pas


pour choquer, mais pour rendre hommage. Donner du sens, sans perdre la pudeur. Et, peut-être, pour continuer à tisser ce lien secret entre l'enfant du « pays des fées » et la femme qui


murmure aujourd'hui les horreurs du monde. 


_Romy Victory, Connexions mortelles - 10 crimes terrifiants du web et des réseaux sociaux, Talent Sport, avril 2025, 19,90 €, 256 pages_